Face à la contestation de l’ensemble du mouvement syndical (étudiant et salarié), le gouvernement a apporté plusieurs modifications au projet de loi travail El Khomri. Nous vous proposons un décryptage des modifications principales et une analyse du nouveau projet.
Les principales modifications apportées au projet de loi
AVANT | APRES | Commentaires | |
Indemnités prud’homales | Plafonnées de 3 à 15 mois de salaire selon l’ancienneté | Mise en place d’un barème indicatif pour le juge | |
Licenciement économique | Le périmètre pris en compte pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise peut se limiter à la France. | Le périmètre reste inchangé mais le projet de loi renforce le contrôle du juge qui pourra s’assurer que les « difficultés ne sont pas créées artificiellement ». | Dans la réalité, nous pouvons douter que le juge ait les moyens suffisant pour apprécier la réalité des difficultés. |
Le compte personnel d’activité | 25 heures de formation par an pour les peu qualifiés | Augmentation du crédit d’heure à 40 heures et création d’un compte engagement citoyen associé au compte personnel d’activité. | Le financement de cette mesure n’a pas été détaillé. |
Décision unilatérale de l’employeur à défaut d’accord d’entreprise | Mise en place unilatérale des forfaits jours dans les entreprises de moins de 50 salariés | Accord nécessaire d’un salarié mandaté ou d’un accord de branche
|
|
Décision unilatérale de l’employeur à défaut d’accord d’entreprise | Modulation du temps de travail sur 16 semaines dans les PME | Modulation du temps de travail ramené sur 9 semaines | A savoir qu’auparavant c’était 4 semaines |
Négociation d’entreprise | Modulation du temps de travail sur plus d’un an | Cette possibilité est à présent conditionnée à un accord de branche |
Les points en question
Au cœur du projet de Loi travail, le gouvernement souhaite inscrire l’inversion de la hiérarchie des normes. Jusqu’à maintenant la loi primait sur l’accord de branche qui primait à son tour sur l’accord d’entreprise sauf si l’accord de branche ou d’entreprise étaient plus favorable. La loi veut inverser cette situation et donner une place centrale à l’accord d’entreprise qui prévaudrait sur les accords de branche ou sur la loi. Bien que cette mesure puisse offrir la possibilité aux acteurs locaux de trouver des bonnes solutions aux problématiques qu’ils rencontrent sur le terrain, l’implantation actuelle des acteurs syndicaux dans les entreprises est bien trop déséquilibrée pour assurer des bons accords dans l’ensemble des entreprises. Le projet de loi rend possible une très grande disparité de traitement entre les salariés sur des points essentiels du droit du travail.
Des heures supplémentaires moins payées
Actuellement, la durée légale du travail est de 35 heures par semaine et les heures supplémentaires sont rémunérées 25 % de plus pour les huit premières heures, 50 % au-delà. Un accord collectif de branche peut fixer un niveau de majoration moins élevé sans pouvoir être inférieur à 10%
Le projet de loi ne modifie pas la durée légale du travail qui reste fixée à 35 heures par semaine. En revanche il ouvre la possibilité de négocier le taux de majoration des heures supplémentaires au niveau des entreprises, sans pouvoir descendre, comme aujourd’hui en dessous de 10%.
De la même manière, les majorations des heures complémentaires pour les salariés à temps partiel pourraient être limitées à 10% alors qu’elles étaient précédemment majorées de 25% au-delà d’1/10ième des heures contractuelles.
Le fractionnement des 11 heures de repos quotidien
La loi impose aujourd’hui 11 heures de repos consécutives chaque jour.
Dans le projet initial de la Loi travail, le gouvernement avait ouvert la possibilité de remettre en cause ce repos quotidien de 11 heures consécutives. Le nouveau projet a fait marche arrière mais laisse néanmoins la possibilité à une discussion future de négocier sur ce point : « Une concertation est engagée avant le 1er octobre 2016 sur le développement du télétravail et du travail à distance […] Cette concertation porte également sur l’évaluation de la charge de travail des salariés en forfait jours, la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques pour mieux articuler la vie personnelle et la vie professionnelle, ainsi que sur l’opportunité et, le cas échéant, les modalités du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire de ces salariés. »
Le temps de travail calculé sur 3 ans
Les directions d’entreprises peuvent actuellement neutraliser le paiement des heures supplémentaires en calculant le temps de travail non pas sur une semaine mais sur une période plus longue, et jusqu’à une année avec un accord d’entreprise. Les heures supplémentaires ne se déclenchent donc pas au-delà de 35 heures, mais dès lors que le salarié a travaillé plus de 1607 heures sur une année. Ce qui revient à limiter le paiement des heures supplémentaires dans de très nombreux cas.
Le projet d’accord permet au niveau de la branche de négocier cette modulation sur une période allant jusqu’à 3 années. En l’absence d’accord, la période ne pourra dépasser un mois comme c’est le cas aujourd’hui, sauf pour les PME qui comptent moins de 50 salariés, qui pourront aller jusqu’à seize semaines, soit quatre mois, sous réserve d’avoir un accord validé par un salarié mandaté.
Le temps de travail calculé sur 9 semaines
Actuellement, une direction d’une entreprise de moins de 50 salariés peut moduler unilatéralement le temps de travail de ses équipes sur un mois.
Le projet de Loi Travail permettrait de faire courir cette modulation sur une période de 9 semaines.
La consultation des salariés
Depuis les lois de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales, un accord n’est valable que s’il est signé par un ou plusieurs syndicats représentant au moins 30 % des votes exprimés aux élections et si les autres organisations pesant au moins 50 % ne s’y opposent pas.
Le projet de loi revient sur cette disposition en introduisant une nouvelle modalité de validation d’un accord d’entreprise. Une consultation des salariés pourra être organisée par la direction à la demande d’organisations syndicales représentant moins de 50% des salariés. Si la consultation va dans le sens d’un accord, ce dernier sera alors validé et les autres syndicats, même s’ils pèsent 70 % du nombre de salariés, ne pourront plus s’y opposer. La loi revient en l’état sur le droit d’opposition des organisations syndicales majoritaires qui fut instauré en 2008.
Le périmètre de la négociation
Le projet de Loi Travail donne la possibilité aux directions de négocier au niveau qui lui convient le mieux. Elle pourra dès lors privilégier si elle le souhaite des négociations au niveau du groupe, de l’entreprise ou de l’établissement.
Par exemple, la CFTC chez Worldline n’étant pas représentative au niveau du groupe Atos, le choix de la direction de déporter les négociations au niveau du groupe (NAO, GPEC, Qualité de vie, etc.) nous priverait de la possibilité de négocier.
Sur la garantie des avantages acquis
Aujourd’hui lorsqu’une direction dénonce un accord d’entreprise, les avantages acquis pour les salariés continuent à s’appliquer jusqu’au nouvel accord.
Le projet de loi remet en cause le maintien des avantages acquis qui disparaitraient dès lors que l’accord serait dénoncé.
Faciliter les accords de maintien de l’emploi
En cas de difficultés conjoncturelles, un employeur peut négocier avec les syndicats un accord de «maintien de l’emploi» pouvant prévoir des baisses de salaires et / ou une hausse du temps de travail, pour une durée de cinq ans maximum. Si le salarié refuse l’application de l’accord, il peut être licencié pour motif économique. Risque pour l’employeur : voir ce motif contesté devant le juge et être condamné à verser des indemnités.
En plus du dispositif précédent, de nouveaux types d’accords pourront être conclus ayant pour but la «préservation» ou le «développement» de l’emploi. Ils ne seront donc pas limités aux entreprises en difficulté. Ces seuls motifs permettront d’imposer aux salariés la baisse des garanties prévues par leur contrat de travail (rémunération, temps de travail…).
Grosse nouveauté en revanche : si un salarié refuse de voir son contrat de travail modifié suite à cet accord, il sera licencié selon les règles du licenciement pour motif personnel. Une disposition qui permet de sécuriser la procédure pour l’employeur. En effet, la «cause réelle et sérieuse» du licenciement sera impossible à contester devant le juge (à la différence du motif économique) puisqu’elle sera constituée par le refus même du salarié de se voir appliquer l’accord.
Faciliter les licenciements pour motif économique
Aujourd’hui les possibilités de licencier pour motif économique sont encadrées de manière assez restrictive par la loi. En effet, seuls la fermeture d’une entreprise, la réorganisation nécessaire au maintient de la compétitivité, des mutations technologiques ou des difficultés économiques peuvent justifier des licenciements économiques. A noter également que jusqu’à maintenant les difficultés d’une entreprise appartenant à un groupe étaient appréciées dans le secteur d’activité du groupe auquel appartenait l’entreprise.
Le projet de loi facilite le recours aux licenciements économiques qui pourront désormais être justifiés par une simple baisse du chiffre d’affaire / commandes pendant quelques mois. Le projet revient également sur le périmètre à prendre en compte pour apprécier les difficultés d’une entreprise appartenant à un groupe, qui sera désormais limité aux entreprises du groupe implantées en France.
Faciliter les licenciements en cas de reprise d’entreprise
Jusqu’à aujourd’hui, en cas de reprise d’une entreprise ou filiale de plus de 50 salariés, le repreneur est tenu de maintenir l’ensemble des contrats de travail.
Le projet de loi revient sur cette protection en autorisant les licenciements avant le transfert au motif qu’une reprise est envisagée « pour sauver certains emplois ».
Pour plus d’information, vous pouvez si vous en avez le courage, potasser directement le texte du projet de loi.
N’hésitez pas à nous contacter si vous avez la moindre question.
2 commentsOn Décryptage du projet de Loi El Khomri
Quelle est la position de la CFTC sur ce projet de loi ?
J’étais à la manifestation à Lille le 30 mars et je n’ai pas vu de drapeaux CFTC ?
Salut Seclinois !
Au niveau de Worldline et après discussion, notre équipe considère que ce projet de loi est inacceptable. On tend aujourd’hui avec un tel projet vers un droit du travail qui serve et facilite uniquement les objectifs économiques des entreprises. Il remet en cause l’équilibre actuel du droit du travail qui se voulait également un outil au service de la protection des salariés. Le respect de la conciliation entre la vie privée et professionnelle des salariés, l’assurance que le travail ne nuit pas à leurs santés, etc. sont des dimensions clés auxquelles nous sommes très attachées. Nous ne pouvons pas accepter qu’elles soient niées.
D’autres part, nous ne sommes pas convaincus qu’un tel projet de loi permette de créer des emplois, pourtant affiché comme l’objectif principal de la loi.
Le retrait de ce mauvais projet nous semble donc la meilleure solution.
J’ai pour ma part également manifesté le 31 mars.
Au niveau national, le positionnement de la CFTC est plus timoré considérant qu’il est possible d’amender et d’améliorer le projet. La confédération n’a donc pas appelé à manifester le 31 mars.
L’autonomie de notre équipe nous permet d’être en désaccord avec notre confédération. Ce qui est aussi notre force.
N’hésite pas à me contacter si tu souhaites que nous échangions plus longuement.
Amicalement
Florent