La CGT et la recomposition syndicale

In Idées

Retour sur la lecture de l’ouvrage “”La CGT et la recomposition syndicale”” coordonné par Françoise Piotet. Un travail de plusieurs années sur les pratiques et le fonctionnement des syndicats et les ressorts de l’adhésion de leurs membres.

Introduction

En réponse à un appel d’offres émis fin 2002 dans le cadre d’une convention d’études entre l’Institut de recherche économique et sociale (IRES) et la CGT, s’interrogeant sur les obstacles et les moyens de développer la syndicalisation, l’ouvrage dirigé par Françoise Piotet La CGT et la recomposition syndicale nous restitue un travail de plusieurs années sur les pratiques et le fonctionnement des syndicats et les ressorts de l’adhésion de leurs membres. Collectif de chercheurs du laboratoire Georges-Friedmann de l’Université Paris-1, l’équipe sous la direction de Françoise Piotet entrepris une recherche qui débuta en 2003 pour se terminer en 2006. Trois années pendant lesquelles les chercheurs déploieront une méthodologie originale : Enquête ethnographique privilégiant l’observation de terrain, la participation à des réunions de sections, de syndicat et la consultation des archives mises à disposition. Le temps long de l’enquête permit de mener de nombreux entretiens approfondis et de pouvoir suivre au fil des observations l’évolution des équipes et des militants. Les chercheurs purent établir à partir des données récoltées plusieurs monographies, reconstituant les trajectoires militantes des enquêtés. Elles nous permettent de comprendre leurs parcours biographique, leurs contraintes, leurs difficultés et leurs manières d’appréhender la syndicalisation. « Un échantillon significatif et non représentatif » fut finalement déterminé. Les enquêtes se déroulèrent dans des contextes et des situations très variées :

  • Deux entrepôts de la grande distribution en Bretagne et Région parisienne * Blanchisserie industrielle * Métallurgie de Rouen
  • Syndicalisme de techniciens et cadres : Les impôts, une banque.
  • Un lycée.
  • Personnel naviguant Air France. Cette commande résonne tout particulièrement avec le 47ième congrès de la CGT qui se déroula durant l’année 2003.

Taux de syndicalisation au plus bas, il est à ce moment-là inférieur à 10% et place la France en dernière position au niveau européen, perte d’adhérents spectaculaire à la CGT, voyant ses effectifs passer de 1 925 000 en 1981 à un peu moins de 700 000 en 2004, le 47ième congrès fut une tentative de réponse à cette « crise du syndicalisme ». Doté d’un état des lieux et d’un diagnostic sans concession, la CGT prit la mesure des difficultés à surmonter: Comment alors que la CGT repose majoritairement sur des adhérents du service public, ayant des emplois stables, réussir à développer les adhésions dans le secteur privé et dans les « déserts syndicaux » ? Comment redonner une lisibilité à une organisation où le découpage du territoire et la répartition des tâches entre section, union local départemental et comité régionaux font souvent défaut ? Quelle place donner aux organisations spécifiques : UGICT et USR ? De quelle manière partage-t-on une directive, une consigne alors qu’une majorité des adhérents est très attachée à son autonomie et à sa possibilité de remettre en cause les décisions du « sommet » ? Des problématiques multiples qui donnèrent lieu à plusieurs objectifs s’articulant autour de l’engagement de la CGT dans une politique de syndicalisation :

  • Développer l’adhésion avec en ligne de mire le million d’adhérent
  • Changer l’image de la CGT et définir une nouvelle « façon d’être CGT »
  • Casser les lourdeurs de l’appareil bureaucratique
  • Réussir à séduire les nouveaux publics (jeune, précaire, sans papier, femme et chômeur)
  • Centrer son action en priorité sur les « désert syndicaux » et le secteur privé
  • Diminuer le turn-over des adhérents

L’ouvrage dirigé par Françoise Piotet s’inscrit dans cette démarche comme un moyen de suivre le cheminement de la mise en œuvre de cet objectif de syndicalisation dans les structures départementales et locales. D’autre part, il est important de remarquer l’entrée très tardive de la CGT dans une démarche de syndicalisation. En France, la CFDT avait créé un Groupe d’Action Pour la Syndicalisation (GAPS) dès l’été 1983, qui jouera un rôle clé pour « faire de la syndicalisation une de ses priorités ». Le tournant Américain vers un « organizing unionisme » est encore plus précoce. Les campagnes « Justice for Cleaners » et son double britannique « justice for Janitors » en 1985 illustrent parfaitement la centralité de la syndicalisation dans de nombreuses organisations syndicales internationales . Le mode opératoire retenue par la CGT contraste d’autant plus fortement avec celui des organisations syndicales la précédant. La CGT fixe des objectifs de syndicalisation mais elle reste très floue sur la manière de les atteindre. La confédération « laisse le choix ». Augmentation des équipes de permanents, recours à des formations sur le leadership, mise en place de l’organizing model, recherches et tentatives d’empowerment des travailleurs pour les versions américaine et britannique. La CFDT s’appuya sur des équipes de développeurs, la rédaction d’un manuel sur les moyens et les manières de syndiquer, de nombreux « audits » pour évaluer et comparer les dispositifs d’adhésion par exemple. La CGT adopta lors de son 47ième congrès une « charte de la vie syndicale », semblant consacrer « des formes de coopération souple entre des acteurs qui souhaitent collaborer sans perdre leur autonomie », « leur caractère proclamatoire et général en fait des normes ouvertes, qui laissent une large part à l’exercice des capacités de jugement de ceux qui les appliquent. »

« Des CGT » en « anarchie organisées »

L’une des conclusions principale du travail de recherche dirigé par Françoise Piotet porte sur la multiplicité des réponses et des approches de la « base » à l’objectif de la syndicalisation. Au fil des enquêtes et des monographies, l’image d’une confédération construite sur une organisation rationnelle, dans laquelle les différentes strates jouent efficacement le rôle de « courroie de transmission » des directives du « sommet » à « la base » s’évanouit. Le portrait dressait par les enquêtes successives est celui d’une très grande autonomie des structures de base (section et syndicat). Aucun ne semble contraint d’appliquer les consignes et les directives de la confédération. Les objectifs et les moyens fixés collectivement sont bien souvent méconnus, ignorés ou tout simplement rejetés. Inversement, la vie des sections et des syndicats apparait régulièrement déconnectée des structures interprofessionnelles et des fédérations. Rendre des comptes ne semble pas être la priorité de la base. Cette « joyeuse pagaille » de la CGT soulève néanmoins les problèmes centraux que l’objectif de la syndicalisation pose aux syndicats et aux sections. A travers la variété des formes, des pratiques, des solutions que les syndicalistes concoctent dans leurs quotidiens, ils donnent à voir la complexité du problème de la syndicalisation et de nombreuses pistes de réflexion pour y parvenir.

Diversité du rapport au champ politique

En accord avec le baromètre confié au CSA pour rendre compte de l’opinion des Français sur les choix d’orientation de la CGT, Bernard Thibault affirma lors du 47ième congrès de la CGT en 2003, la nécessité de rompre tout lien avec le Parti Communiste comme un préalable indispensable à l’atteinte de l’objectif de la syndicalisation. L’indépendance vis-à-vis des partis politiques est-elle un retour au source de la charte d’Amiens, gardant bien en tête la double « besogne » du syndicalisme ? Ou s’agit-il d’une mise à distance du politique comme la traduction du passage d’un syndicalisme de lutte vers un syndicalisme de service ?

Les différentes études nous présentes un patchwork de situations éclairantes. Comparons tout d’abord, la situation des deux entrepôts d’un groupe d’hypermarché. Le syndicat « d’anciens » dans la région parisienne s’appuie principalement sur Roger Buisson et Fernando Da Silva. Bien que le premier entre au syndicalisme à un moment où il « voulait être révolutionnaire », tous deux tendent rapidement vers un travail syndical centré exclusivement sur leurs entrepôts. L’apolitisme revendiqué de Da Silva , et de plusieurs membres de l’équipe caractérise ce syndicat, qui semble déconnecté de toute conception globale et interprofessionnelle de l’action syndicale. La CGT est juste « un logo ». Leurs revendications s’articulent uniquement autour de l’amélioration des conditions de travail et de la rémunération. Avec plus de 50 adhérents, représentant environ 50% des salariés, ce syndicat « corporatiste » est très bien implanté dans l’entreprise. Il est capable de mobiliser par exemple les salariés chaque année lors des NAO pour assurer une augmentation salariale conséquente. Pourtant, rien n’est entrepris par exemple pour s’opposer à la rationalisation du travail lors de l’introduction du contrôle vocale dans la préparation des palettes. « C’est l’esclavage » acceptable car accepté et mis en place dans les autres entreprises.

En comparaison, la situation de Gille Durant, à la tête du syndicat d’un entrepôt dans l’ouest de la France, est radicalement opposée. « Très politisé », ayant une « capacité à s’insurger contre les injustices », son militantisme repose sur des convictions fortes et s’inscrit dans la logique historique de la confédération : une transformation de la société nécessite un dépassement des problématiques locales, une mise en commun, pour une compréhension globale seule capable d’assurer les intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière. Citons par exemple, la solidarité de Gille Durant envers les caissières de Carrefour et son souhait récurent de porter des revendications en dehors du cadre de l’entrepôt dans lequel on « étouffe ». Quelle audience pour ce syndicalisme militant ? Durant les 3 années de l’enquête, la situation s’est dégradée, l’effectif du syndicat diminue d’une trentaine d’adhérent en 2004 à une douzaine en 2007.

De l’apolitisme à un fort militantisme, le positionnement des différents syndicats étudiés est très varié. Affinons notre propos par l’analyse des études de Mathieu Bensoussan. Son travail dans une grande banque nous permet de mesurer l’enchevêtrement d’une politique de syndicalisation et la perte d’acquaintance idéologique avec la ligne confédérale. Situation particulière dans cette banque avec 2 syndicats relevant de la fédération CGT des personnels des secteurs financiers : syndicat CGT pour les employés et syndicat UGICT pour les cadres et les techniciens. L’étude montre que la réussite de l’UGICT lors des élections et dans sa capacité à faire adhérer des salariés est directement liée à ses revendications catégorielles. Cette catégorie de personnel pense sa carrière liée à la pérennité de l’entreprise, sa survie et ses bons résultats sont donc fondamentaux. L’UGICT doit donc parvenir à faire émerger des problématiques et baser ses revendications sur cette logique : Comment influer sur les stratégies de l’entreprise afin que ses choix assurent sa viabilité et ses résultats économiques ? L’UGICT se positionne comme un syndicat « gestionnaire » et se démarque ainsi du syndicat CGT qui adopte principalement une posture d’opposition. A ce travail revendicatif, l’UGICT associe une politique de syndicalisation offensive. Le syndicat est convaincu que le nombre d’adhérent est primordial et qu’il prime sur « l’intensité de l’engagement ». Création d’un livret d’accueil, définition des postes nécessaires à l’atteinte des objectifs de syndicalisation, souhait de mettre en place une liste des salariés de moins de 40 ans, les idées sont abondantes. Cette affluence n’est pas anodine pour l’UGICT. Outre les tensions que les positions de l’UGICT exacerbent avec le syndicat CGT, l’approche catégorielle draine des adhérents divers, ayant des positionnements idéologiques variées et parfois dissonants, tout en étant d’accord sur les revendications de l’UGICT.

Un syndicalisme d’adhérent qui accepte par exemple en son sein Valérie, adhérent paroxysmique, qui ne voit aucun problème à soutenir le CPE et à s’opposer aux 35 heures. Comment concilier la prise en compte d’intérêt particulier et une orientation idéologique globale, interprofessionnelle soucieuse de l’intérêt de tous ? Est-il possible de faire converger les intérêts de différentes catégories professionnelles ? Comment à partir de revendication catégorielle s’élever à des revendications globales soucieuses de l’intérêt de tous? Ce cheminement est-il possible ? L’étude suivante de Mathieu Bensoussan centrée sur le syndicat des personnels naviguant semble offrir une esquisse de réponse. L’UGICT PNC d’Air France connut un grand nombre d’adhésion après s’être opposé avec persévérance à la mise en place de la B-scale introduisant des écarts de salaire à l’embauche. Ses revendications centrées autour du métier de personnel naviguant, opposant à la vision d’un PNC comme simple « pousseur de chariot », celle d’un acteur clé dans la sécurité des vols, entraina de nombreuses adhésions par « réflexe corporatif massif ». La défense du métier de PNC et des prérogatives qui lui été rattachées, furent une condition dans l’implication des enquêtés. D’une adhésion « corporative » dans le syndicat « le plus à même de défendre leur métier », l’enquête révèle la dynamique de l’action et de la socialisation militante sur les adhérents. « Petit à petit » « la révélation » selon laquelle « on [tous les salariés] vise tous les mêmes choses » expliqua un adhérent. C’est donc bien à postériori de l’engagement, comme le dira Mathieu Bensoussan, que les adhérents réalisèrent le commun de leur situation avec l’ensemble des salariés. La « communauté pertinente » ancrée dans le métier comme constitutive de l’action collective et d’une opposition aux logiques de marchés et du capital .

Un des nœuds du problème de la syndicalisation semble s’articuler autour de cette thématique, qui ne semble pas avoir trouvé de solution satisfaisante jusqu’à maintenant: Elaboration des revendications, leurs articulations dans le temps et dans l’espace, et le respect des valeurs du confédéralisme. Cet équilibre fragile présente de nombreuses variantes et des possibilités infinies. La CGT ne doit pas perdre « en valeurs (la solidarité interprofessionnelles) ce qu’elle gagne en audience et effectif et vice versa » semble être l’une des clés du problème de la syndicalisation. Est-il possible à partir de revendications locales, s’attachant à la défense d’un métier et à des intérêts particuliers, d’amener les adhérents vers une conception plus large du syndicalisme, vers une implication active dans la défense des intérêts de l’ensemble des travailleurs ? Au contraire, l’entrée dans le syndicalisme par la porte corporatiste condamne-t-elle les adhérents à un syndicalisme de proximité ne parvenant pas à s’élever à une compréhension globale de la condition des salariés? Quel chemin revendicatif pour s’assurer du devenir militant des adhérents ? Comment prévenir la constitution d’une base éloignée d’une ligne revendicative prônant la solidarité interprofessionnelle ?

Diversité des fonctionnements

Après la diversité des positionnements revendicatifs, intéressons-nous maintenant à la diversité des fonctionnements des syndicats et des sections. Commençons par l’analyse du syndicat de la métallurgie étudié par Azdine Henni. Présenté comme un syndicalisme de lutte des classes, « à l’ancienne », adhérant à des valeurs de solidarité, d’entraide et d’opposition à la direction, le syndicat est porté par une équipe de « jeunes » qui ont su, tout en restant fidèle à la double « besogne » et à leur imaginaire révolutionnaire, renouveler les pratiques du syndicat. Mettant au cœur de leur fonctionnement une « démocratie totale », soumettant au vote des adhérents la désignation des postulants à des mandats, mais sachant également étendre la démocratie à l’ensemble des salariés pour certains accords stratégiques, le syndicat est parvenu à fédérer et à élargir le cercle de ses militants.

Le déroulement et les revendications du syndicat lors de la négociation sur les 35 heures est emblématique de leurs pratiques : Exigeant que les nouveaux embauchés soient rémunérés dans les mêmes conditions que les salariés déjà en poste, « la CGT se lance dans un mouvement qui n’avait d’autre but que de défendre des futurs salariés ». La démocratie syndicale rendit possible une compréhension globale des enjeux de la négociation. Elle permit d’élaborer des revendications cohérentes pour tous, propres à fédérer les salariés au lieu de les opposer. Les intérimaires embauchés à la suite de la signature de l’accord sur les 35 heures, se sentirent redevable envers la CGT de leurs situations. Leurs adhésions furent alors facilitées.

De la même manière, la suppression d’une prime d’équipe inéquitable illustrent cette démarche. L’analyse de ce syndicat CGT présente un autre aspect original dans son fonctionnement. A cette manière d’envoyer des « signes » et de tisser des liens avec l’ensemble du personnel de l’entreprise, la CGT su également nouer tout un réseau de solidarité avec son territoire. Dans le cadre d’un conflit sur les salaires, ils réussirent à l’élargir au territoire local : Du refus de travailler le lundi de pentecôte dans le cadre de la journée de solidarité, ils surent affirmer « une vraie solidarité » en organisant une action symbolique en faveur de la maison de retraite voisine. D’un don initial, le contre don de la maison de retraite vint appuyer une lutte ultérieure de la CGT. Avec le soutien d’un réseau élargit, la CGT obtint satisfaction à sa demande d’augmentation de salaire. « Le capital d’autochtonie » fut une ressource clé dans la mobilisation et la capacité d’obtenir satisfaction à leurs revendications. Succès d’une lutte qui se traduisit par un flux d’adhésion.

L’étude de Yasmine Siblot sur « la difficile transmission d’un syndicat d’ouvriers à « statut » » nous apporte un bon contre-exemple : La persévérance de la CGT dans la défense du statut des ouvriers de la blanchisserie en dépit des aspirations contradictoire des jeunes ouvrières est source de division. La montée en puissance de Sud pourrait s’expliquer en partie par l’échec de la CGT dans sa capacité à construire des revendications fédérant l’ensemble des ouvriers. Néanmoins, de la même manière qu’une approche corporatiste peut nuire à l’identité de la CGT, un fonctionnement démocratique peut également diluer les revendications propres à la confédération. L’étude de Françoise Piotet dans l’enseignement secondaire fait apparaitre les risques d’une prévalence des règles de fonctionnement sur les ressorts idéologiques. Le problème du fonctionnement est posé lors du positionnement du syndicat sur la « liberté de vote » et la représentation de l’ensemble du personnel. Soucieux d’éviter la monopolisation des mandats et des sièges par un petit nombre de personnes, souhaitant défendre des positions proches d’une réalité partagée par tous, le syndicat CGT met en avant des adhérents reflétant la diversité des employés et des situations du lycée. L’ouverture du conseil d’administration est la traduction de ce principe fort de ce syndicat.

Comment cette « éthique » de la représentativité se traduit-elle ? Quelles en sont les conséquences et les risques? L’étude révèle la préoccupation du syndicat sur la possibilité que le vote et le positionnement des élus soient motivés par des intérêts personnel éloignés de la « position majoritairement dégagée ». Dénonciation de l’autoreprésentation, mais qui s’accompagne d’une crainte d’une dissolution des positions syndicales dans les positions majoritaires. Les implications des pratiques démocratiques semblent venir se heurter et rogner l’identité CGTiste. La démocratie semble jouer le rôle de niveleur, « les broutilles » et « les mesquineries » étant aussi importantes que le problème des remplacements. Accepter les différences et les problématiques de chacun entraineraient le refus de hiérarchiser les problèmes et les revendications. Le syndicat travaille alors principalement aux réponses à apporter aux attaques de la direction, il accepte son rythme et son calendrier et semble renoncer à avoir « une prégnance sur le devenir ».

La réussite de la syndicalisation apparait liée aux formes de fonctionnement du syndicat. Quelle démocratie syndicale pour assurer une ouverture et son attrait ? Comment articuler fonctionnement démocratique et intégrité des revendications et des positionnements de la CGT ? Comment inscrire la pérennité des syndicats au cœur du fonctionnement des syndicats ?

Identité & Traits communs « des CGT »

« Des CGT » en « anarchie organisées » qui présentent néanmoins de nombreux points communs. Une identité CGT parvient à irriguer les représentations des militants et des adhérents.

Lutte et adhésion

Les études présentées dans La CGT et la recomposition syndicale font apparaître le rôle primordial d’une situation exceptionnelle comme catalyseur de l’engagement et de l’adhésion des salariés. « Il faut un élément déclencheur », de l’indignation à la lutte, pour créer les conditions renouvelées de l’attractivité syndicale. Retour dans « notre hypermarché », qui voit Gilles Durant et une dizaine de caristes adhérer à la CGT après les provocations de l’été 2003. Alors que la canicule de l’été entrainait une surcharge d’activité, la direction reconnut difficilement les efforts consentis par les salariés, se limitant à leurs offrir une prime pour la première semaine de sur activité. Elle joua ensuite à « chouchouter » les intérimaires, les invitant à un buffet comme acmé de l’exacerbation des autres salariés. Mépris de la direction, indignation, opposition et lutte collective puis finalement syndicalisation. Nous retrouvons ce schème dans de nombreuses situations. De la même manière, la grève dans la métallurgie étudiée par Azdine Henni qui se soldera par une victoire pécuniaire limitée, permet de mettre en évidence l’aspect mobilisateur du conflit. C’est par lui, que les salariés prennent consciences d’une force collective et de la possibilité d’affirmer une dignité et une identité ouvrière. Là encore, suite à la grève, le syndicat connaitra de nombreuses adhésions. Nous pouvons également citer la référence fréquente à la grève victorieuse pour le statut des blanchisseurs. La grève comme moment clé de la constitution de l’identité, de cohésion et de la constitution du syndicat. Plus précisément, les études montrent à plusieurs reprises comment cette capacité de la CGT à s’opposer, à faire front aux directions est reconnue et contribue à l’adhésion des salariés à ce syndicat. La CGT comme la plus dotée et la plus à même de défendre les salariés et de se faire entendre fasse à la direction. Nous retrouvons Fernando Da Silva qui bien qu’apolitique, se tourne vers la CGT car il apprécie ses modes d’actions « durs ». Gilles Durant évoquera sa jubilation à affronter la direction alors que Fernando met en avant l’importance « [d’avoir] de la gueule » et de ne pas avoir « peur de parler » . Comment réussir alors à problématiser des situations de travail, à faire émerger du commun qui permette de fédérer les salariés face à une direction? De l’analyse des différentes études, la syndicalisation apparait intimement liée aux luttes victorieuses. Sa réussite semble ainsi découlée de la capacité des syndicats à réinventer des moyens de se solidariser, formant un bloque fasse à la direction.

La relève & la syndicalisation

L’ensemble des études relèvent une conception partagée de la pratique de la syndicalisation : Elle ne peut en aucun cas être une fin en soi mais doit répondre à un but bien précis, celui d’assurer la pérennité du syndicat. Le nombre d’adhérent est évidement important mais il est primordial en premier lieu que le syndicat est en son sein des militants capables d’assurer la relève et de préserver les acquis et l’identité du syndicat. Nous retrouvons cette préoccupation dans la grande majorité des études, à l’exception du syndicat UGICT de la grande banque analysée par Mathieu Bensoussan. Arrêtons-nous tout d’abord sur le syndicat des personnels navigants. Bien qu’ayant intégré l’importance de la syndicalisation, il se refuse à enrôler « de force » les salariés. De la même manière, des pratiques assurantielles ciblées sur les adhérents apparaissent comme risquées, susceptibles d’attirer les salariés pour des mauvaises raisons. L’adhésion doit être motivée en partie par une « morale » et non pas uniquement par intérêts. Cette pratique du syndicat pourrait évidement expliquer la non adhésion des salariés, qui peuvent profiter des pratiques indifférenciées du syndicat sans franchir le pas de l’adhésion. La préservation relative d’une identité semble primer néanmoins sur la syndicalisation à tout prix. Cette approche de la syndicalisation est encore plus visible dans le syndicat de la blanchisserie. La constitution de la relève s’inscrit dans une obligation de conserver le statut et l’identité ouvrière des blanchisseurs. On passe d’une problématique de syndicalisation à celle de la pérennisation du syndicat. Cette dernière pouvant d’ailleurs rentrer en contradiction avec la première. La secrétaire voulant préserver l’identité et les acquis de son syndicat, rencontre des difficultés à appréhender le positionnement et la distance des jeunes cégétistes au monde ouvrier. La secrétaire du syndicat, Christelle, par son attachement à une identité forte de son syndicat et à ses missions pourrait facilement repousser des adhérents potentiels. « Passer le relai » dans de bonne condition est le problème centrale de la secrétaire : Elle cherche chez ses successeurs de nombreuses qualités, et entretien une vision très ambitieuse de la relève. Elle finira par céder et par se retirer du syndicat sans être complétement satisfaite, bien que la relève ait été formée. Gilles Durant et nos « jeunes » syndicalistes de la métallurgie confirment cette analyse. Tous deux sont convaincus de la « force menaçante du nombre » mais sans jamais chercher à « syndiquer pour syndiquer ». Gilles Durant procède en suscitant des vocations militantes, des « prises de conscience ». Il repère les salariés présentant des affinités naturelles au syndicalisme, à la revendication : « Il faut sentir le mec qui adhère un peu, qui est dans le discours […] ». Pour finalement, à force d’échanges, de sensibilisation et de mobilisation, les amener à adhérer au syndicat. La « qualité » des futurs adhérents primes sur leurs quantités, il cherche des militants et non pas des simples adhérents. Une logique similaire se retrouve dans les pratiques des syndicalistes de la métallurgie. Ils tentent tout d’abord de faire adhérer des salariés qui leurs paraissent « tenir la route ». La relève et la syndicalisation se construit dans ce syndicat par la promotion d’un sort commun. Le syndicat comme un outil d’amélioration de ce sort collectif doit être le ressort principal de l’adhésion. D’autre part, ajoutons la récurrence dans les syndicats de la mise en avant d’une « morale » du travail bien fait comme pilier du recrutement des adhérents. Plusieurs syndicalistes appuieront sur l’importance que le syndicalisme soit un travailleur irréprochable : « Une éthique du travail fonde la légitimité des revendications syndicales ». Nous retrouvons cette thèse chez les deux syndicats des hypermarchés, mais aussi chez les blanchisseuses, et en filigrane dans l’ensemble des études. Cette démarche de mise à distance d’une syndicalisation comme fin en soi prend des formes variées, mais elle apparait bien présente dans la très grande majorité des syndicats étudiés. Les problèmes de la syndicalisation rencontrés par la « base » se révèlent alors bien différents de ceux adressés par la confédération. Comme nous le disions précédemment, les syndicats en s’attelant à constituer la relève doivent alors surmonter plusieurs défis : Comment prévenir le départ des militants alors que le syndicat cible et essaye de recruter les meilleurs salariés dotés de nombreux savoir-faire et savoir-être ? Leur ascension professionnelle n’est-elle pas inévitable ? Comment dans un contexte économique où les fermetures, rachats et fusions d’entreprises sont de plus en plus courants réussir à constituer des équipes stables ? Gilles Durant et nos blanchisseuses illustrent parfaitement ces difficultés. Comment également concilier responsabilités professionnelles et syndicalisme ? D’autant plus marqué chez les cadres, le conflit entre les responsabilités hiérarchique et les fonctions syndicales semblent très diversement adressé par les syndicats. Les réponses relèvent plus du bricolage personnel que d’une réflexion collective. Notre « cadastreux » chef de service aux impôts se doit par exemple de cliver son identité syndicale de son identité professionnelle, déplaçant son engament syndical à l’extérieur de l’entreprise. Comment réussir à constituer une relève solide alors que les formations semblent souvent très éloignées des problématiques de terrain ? Comment alors que les micro-résistances sont nombreuses, qu’une part des salariés rejettent l’identité ouvrière, préférant fuir, se dérober au travail bien fait, ne pas les repousser du syndicalisme par la prégnance d’une éthique du travailleur idéal ? Comment réussir à partir de résistances individuelles à les prolonger dans une mobilisation collective ? Les syndicats apparaissent très démunis pour répondre de manière satisfaisante à ces enjeux. Les risques sont pourtant nombreux. La réussite de la syndicalisation ne pourra pas se priver d’une réflexion collective sur ces problématiques traversant l’ensemble des syndicats. Elle est nécessaire pour donner les outils et les moyens aux syndicats de constituer des équipes solides et pérennes.

« Un sommet » coupé de « sa base »

La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse au rôle des structures dans le développement de la syndicalisation, des fédérations aux organes interprofessionnelles, et à celui de la formation comme moyen de socialisation et de constitution d’une identité partagée. Comme nous le disions en introduction, les « bases » étudiées entretiennent un rapport très distant avec les structures syndicales. Une « joyeuse pagaille » règne, les syndicats ignorant les consignes et revendications confédérales ou bien préférant ne pas les suivre. Une pagaille commune à nos syndicats qui participe à l’élaboration d’une identité partagée. Le rapport des syndicats aux structures interprofessionnelles est néanmoins privilégié par sa proximité. Il jouera d’ailleurs un rôle important, par les moyens qu’il procure, dans le bon fonctionnement de plusieurs syndicats. L’analyse de Françoise Piotet sur le rapport aux structures confirme cependant nos précédentes analyses : Les logiques de métier sont celles qui permettent de tisser des liens. Les militants ont des difficultés à s’investir en dehors de leurs structures et à dépasser les logiques de leurs métiers. C’est bien tout une conception du syndicalisme à l’origine de la CGT, mettant en avant la nécessité de revendication interprofessionnelle pour assurer une défense de l’ensemble des salariés, qui est remise en cause. Et pourtant les difficultés de l’interprofessionnel ne semblent pas réellement adressées. L’inadéquation des moyens à l’éventail de leurs missions est flagrante. Alors que les structures interprofessionnelles devraient jouer le rôle d’incubateur, de mise en commun et contribuer à aider les syndicats à dépasser le corporatisme, elles entretiennent avec eux malheureusement des liens très variables et distants. A cela, ajoutons que leurs missions ne s’arrêtent pas là : elles sont également responsables de la prise en charge des isolés, elles se doivent d’apporter une aide et d’être solidaires avec les exclus, et tout particulièrement les sans-papiers, sans oublier de défendre les salariés et bien évidement de transformer la société. L’observation par Yasmine Siblot des formations de premier niveau renforce notre impression d’une coupure entre les syndicats et les structures de la CGT. En effet, alors que la formation devrait permettre d’assurer la transmission d’une compréhension commune du monde économique mais aussi des valeurs et de l’identité de la CGT, elles contribuent paradoxalement à accentuer cette distance, mais aussi à la faire voir. Le programme proposé pendant la formation apparait très éloigné des attentes des participants : Il s’attarde sur la transmission d’une approche marxiste de l’économie et rentre dans les détails et les problématiques de la confédération par exemple. Des sujets abstraits pour la majorité qui ne répondent pas à leurs problématiques de terrain. Cependant, bien que la formation ne soit pas utilisée comme souhaitait, les participants nous donnent néanmoins l’impression de se l’approprier. A la distance les séparant de la structure, la formation pourrait être un moment de renforcement de la cohésion de la base. La réussite de la syndicalisation impliquerait une réflexion sur les structures, leurs moyens et leurs prérogatives. Alors que la formation apparait comme un autre enjeu primordial pour la réussite d’une politique de syndicalisation

Conclusion

Il est nécessaire après avoir dressé ce portrait de la CGT, d’apporter quelques éléments critiques permettant de le nuancer. Premièrement, il nous faut questionner la validité de « l’échantillon significatif et non représentatif » étudié par les chercheurs. Pour rappel les terrains étudiés sont les suivants :

  • Deux entrepôts de la grande distribution en Bretagne et Région parisienne
  • Blanchisserie industrielle dans un hôpital
  • Une entreprise de métallurgie de Rouen
  • Syndicalisme de techniciens et cadres aux impôts et dans une banque
  • Un lycée.
  • Le personnel naviguant Air France.

Alors que la majorité des adhérents et des militants de la CGT se concentre sur le secteur et les entreprises publiques, nous constatons que la très grande majorité des terrains étudiés relèvent de celui du privé. Notons également une répartition équitable des enquêtes entre le syndicalisme ouvrier et celui des « gradés », des techniciens et des cadres qui ne correspond pas à la manière dont les syndicalistes se répartissent au sein de la CGT. Finalement, nous remarquons une présence prépondérante de jeune militants dans les monographies qui semble elle aussi en contradiction avec le poids des jeunes générations dans la confédération. Les choix opérés par l’équipe de chercheur ne sont pas anodins, ils sont réfléchies et pertinents en regard des objectifs de la CGT : Atteindre l’objectif d’un million d’adhérent nécessite obligatoirement la conquête des « déserts syndicaux », des entreprises privés aux précaires isolés, des jeunes, des femmes, des chômeurs et des sans-papiers. Les enquêtes s’attarderont donc principalement sur cette cible car c’est elle qui est primordiale pour la CGT. En revanche, nous pouvons émettre l’hypothèse que « l’anarchie organisée » qui ressort de ce travail est tout aussi éloignée de la réalité de la CGT que les terrains d’études l’étaient également. D’autre part, n’est-il pas surprenant de s’étonner de la « pagaille » et de « l’anarchie organisée » des syndicats CGT alors que leurs autonomies étaient au cœur de leurs fonctionnements. N’est-ce pas pour cette raison que le difficile débat sur l’organisation et le découpage entre fédération, la répartition des missions entre UL, UD et UR ouvert bien avant le 47ième congrès était toujours à l’ordre du jour lors du 48ième ? N’est-ce pas pour éviter de heurter ce gout de l’autonomie que l’adhésion à une politique de syndicalisation fut réalisée à travers une « charte de la vie syndicale », semblant en aucun cas remettre en cause cette tradition CGTiste ? Pourquoi alors s’étonner d’une situation qui semblait connue de tous.

Néanmoins, l’ouvrage dirigé par Françoise Piotet La CGT et la recomposition syndicale nous présente un panorama détaillé des difficultés rencontrées par les syndicats CGT. Il nous donne la possibilité de comprendre les problématiques se posant à la « base » et d’apprécier les difficultés soulevées par la syndicalisation. Premièrement, nous avons montré les possibilités et les différents leviers sur lesquels pouvaient jouer les syndicats pour activer la syndicalisation. Que ce soit leur fonctionnement ou bien le rapport qu’ils entretiennent à l’idéologie de la confédération, une multitude de configurations sont possibles aux résultats difficilement prévisibles. D’autre part, l’ouvrage dirigé par Françoise Piotet contribue à dessiner un portrait commun des différents syndicats. A travers lui, les différentes problématiques des syndicats apparaissent renforcées par la récurrence des mêmes difficultés en leurs seins. Des questions nombreuses ne semblent pas avoir adressées et sont pourtant au cœur des obstacles à la syndicalisation rencontrés par les syndicats. De la problématisation des situations de travail pour constituer des communs comme préalable à une cohésion, des nombreuses difficultés pour assurer une relève, à celui de la distance des syndicats à leur « sommet », nombreuses sont les problématiques à poser et qui appellent des réponses. Remarquons finalement l’absence de considération sur des thématiques clés de la syndicalisation. Par exemple, il est frappant que la confédération et les syndicats ne s’intéressent pas aux conditions d’un fonctionnement et de revendication intersyndicale. La division syndicale est régulièrement mise en avant comme l’une des explications de la faiblesse des adhésions. Plusieurs études de l’ouvrage illustrent d’ailleurs parfaitement cette tendance, avec plusieurs syndicats voyant leurs effectifs s’effriter suite à une désunion des syndicats. Outre la situation du syndicat de Gilles Durant ne parvenant pas à créer les conditions d’une action commune pour une grève, se traduisant par une perte d’adhérent, l’opposition entre l’UGICT et le syndicat CGT chez les personnels navigants montre bien les risques inhérents à la division : Exacerbation des tensions entre les syndicats, différenciation et démarcations, temps et moyens affectés au jeu de la concurrence pour développer l’attractivité du syndicat, etc. L’intersyndicale est complétement absent des stratégies de syndicalisation globales des travailleurs. La logique de la compétition syndicale semble intégrée par les acteurs de la CGT.

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