Nous n’en finissons plus d’être mangés à la sauce Power24…
Reprendre c’est voler
Le 26 juin, la direction Worldline France s’est parjurée 2 fois. Elle est revenue sur 2 de ses engagements pris devant les 4000 salariés français et leurs représentants syndicaux :
- La direction a rétracté sa proposition d’un intéressement de 3000€ à 3500€ à objectifs atteints payable en 2025, plusieurs fois réitérée aux syndicats de fin mai jusqu’au 25 juin.
- Elle est revenue sur son engagement de 2023 d’amélioration de l’intéressement envers tous les salariés : « Worldline souhaite mettre en œuvre durablement des outils de motivation collective au bénéfice de ses salariés. Cet accord d’intéressement 2023 est une première étape importante pour réaliser cet objectif, il a vocation à progresser avec les objectifs du Groupe. »
Les faits : d’un intéressement de 3500 € à une PPV de 1500€
Contexte : l’intéressement était sensé progresser cette année
- Juin 2023 : en signe de bonne volonté face à une équipe de direction renouvelée, les 4 syndicats représentatifs signent pour 2823€ d’intéressement à toucher en 2024 (à objectifs internes atteints). Alors que la direction prend l’engagement de bonifier la formule l’année suivante, la CFTC saute la dernière dans le wagon des signataires mais avec des réserves (formule de calcul trop risquée, objectifs inatteignables)
- 21 mars 2024 : la direction annonce que la formule donne finalement … 570€ d’intéressement (soit 5 fois moins que le montant nominal). Et ce alors que la direction annonce avec désinvolture une dépréciation d’actifs de 1 milliard et 150 millions d’euro – une bagatelle. Les réticences de la CFTC étaient amplement justifiées !
Déroulement de la négociation
- 27 mai 2024 : En parallèle de la négociation RCC, la négociation sur l’intéressement 2024 (payable en 2025) débute. La direction présente une proposition d’intéressement record : 3498€ à objectifs internes atteints, 3064€ à objectifs externes atteints. Bonus : la nouvelle formule de calcul est beaucoup moins risquée que celle de l’année précédente, afin d’éviter une 2ème catastrophe d’affilée.
- 18 juin 2024 : 2 syndicats représentatifs sur 4 signent une RCC, sans pour autant détenir de garantie pour « ceux qui restent ». Ils estiment qu’il ne faut pas corréler les deux négociations ; la CFTC, en désaccord et en ligne avec ses valeurs, ne signe pas.
- 21 juin 2024 : la direction fait une autre proposition pour l’intéressement avec des montants légèrement … inférieurs !
- 26 juin 2024, 10h : fin brutale de la négociation, la direction décrète qu’il n’y aura pas d’intéressement, sans fournir d’éléments explicatifs tangibles sur ce revirement ! Du jamais vu. Pour rappel, ce 26 juin se terminait le délai légal d’opposition à la RCC pour les syndicats non signataires.
- 26 juin 2024, 14h30 : dans un mail à tous les salariés France, la direction annonce une PPV de 1500€ en remplacement de l’intéressement (sans préciser que cela représente une perte de 1500€ à 2000€ pour chaque salarié).
- 28 juin 2024 : la CFTC met en demeure la direction de l’entreprise de fournir des justifications étayant la décision de retrait de ses propositions d’intéressement. La direction n’en fournira aucune.
La PPV, un dispositif moins favorable que l’intéressement
Le dispositif PPV est fiscalement moins intéressante pour les salariés qu’un intéressement, à montant égal :
Les chiffres
On saura début 2025 ce que la proposition à 3500€ de la direction aurait réellement donné, dans un contexte où Worldline risque de ne pas atteindre ses objectifs. En tout cas, signer cet accord aurait créé un précédent formidable pour les accords d’intéressement des années suivantes.
Une certitude : cette PPV non négociée, qui reste hypothétique, ne serait pas particulièrement généreuse en comparaison avec les années précédentes :
Ces courbes non-parallèles révèlent un partage de la valeur de plus en plus injuste. Il y a 10 ans, on obtenait des intéressements plus élevés, quand l’entreprise générait des marges plus … faibles !
Il est aussi très intéressant de regarder le ratio Intéressement / taux de marge, qui permet de constater combien 1% de marge génère d’€ d’intéressement pour le salarié moyen :
On constate que depuis 2017, le partage de la valeur est bien loin des niveaux qu’on avait au début de l’ère Grapinet. Ce qui a contribué à augmenter les marges du groupe, additionnée à de nombreuses autres réductions de coûts.
Les enseignements à en tirer
1. Le dialogue social est mort
Rappelons qu’après le parachutage du DRH Pierre-Emmanuel GOLL en septembre 2023, le dialogue avait subi un net coup d’arrêt (voir notre article Dialogue à l’arrêt !).
Cette négociation interrompue selon une méthode totalement autoritaire porte le coup de grâce. En effet, quel sens cela a de démarrer les prochaines négociations (prévues dès Q4 2024), si à tout moment la direction peut revenir sur tous ses engagements et n’en faire qu’à sa tête ? La confiance est longue à construire et rapide à détruire. La duperie, les boniments et les manipulations sont incompatibles avec le dialogue social.
Sommée de s’expliquer sur la rétractation instantanée de toutes ses propositions précédentes, la direction se contentera de prétexter : « Vous n’aviez qu’à signer avant ». Ce nouveau coup de Trafalgar reflète probablement la ligne managériale brutale du top management, en contrepoint des efforts de négociations de nos interlocuteurs (président du CSE, DRH France) qui semblent être des intermédiaires disposant de faibles marges de manœuvre.
2. Une signature RCC concédée trop vite et trop facilement, revient au visage des syndicats comme un boomerang
Et oui, nos choix ont des conséquences. Nous avions indiqué à nos confrères (négociateurs des autres syndicats), que nous conditionnions notre signature de la RCC à l’obtention de garanties pour « ceux qui restent », comme la signature d’un bon accord d’intéressement. Notre niveau de confiance envers la direction était faible, et nous étions convaincu qu’adopter une posture conciliante lors de la RCC n’était pas une bonne stratégie. Les événements qui ont suivi nous donnent malheureusement raison.
La direction a pu apprécier le faible niveau de combativité de certains négociateurs, et en a logiquement déduit qu’elle pouvait faire ce que bon lui semblait dans les autres négociations, sans prendre aucun risque.
La capacité dissuasive de l’ensemble des organisations syndicales s’est formidablement émoussée ; nous devenons donc collectivement une nouvelle chambre d’enregistrement des décisions unilatérales d’une direction de plus en plus déconnectée des réalités sociales qui font (et surtout défont) l’entreprise.
3. Plus de rigueur dans le dialogue social
Au mépris de l’esprit de la loi, la direction s’est donc encore adonnée à des pratiques déloyales qu’elle ne fait même plus l’effort de maquiller. Comme d’habitude, elle s’en tirera sans encombres, faute de preuves opposables en justice : aucun compte-rendu des réunions de cette négociation n’ont été rédigés… L’équipe – grandissante – de juristes-RH (étrange mélange) a dû veiller au grain. Nous allons donc proposer à l’intersyndicale de s’astreindre à une rédaction systématique des comptes-rendus pour les négociations futures, et de les partager avec la direction.
Il est temps de siffler le rappel à l’ordre face à ces infractions répétées à la loi :
- non-attribution des augmentations générales à certains bénéficiaires de l’effet Domino en 2022
- modification illégale des conditions de versement de la compensation d’intéressement des Ex-Ingenico en 2022 et 2023
- instructions pour trafiquer les notes d’évaluations des salariés début 2023 afin de “gaussiser” les notes de performance des employés (pratique totalement illégale)
- révision illégale du montant des primes BSC (coefficient multiplicateur) début 2024
- négociation RCC empreinte de pratiques déloyales et tendancieuses en 2024, etc
Le dialogue doit revenir à plus de rigueur. A fortiori à un moment où les conditions de travail se dégradent dramatiquement pour nous, les salariés. Des actions collectives en justice doivent aussi être menées quand c’est pertinent, puisque c’est désormais le dernier recours pour que la direction respecte la loi.
4. Devant l’injustice qui grandit sans cesse, l’engagement d’un rapport de force est nécessaire
C’est désormais clair comme de l’eau de roche : malgré les quelques 23% de marge réalisés par l’entreprise, la direction n’a qu’un levier pour compenser ses erreurs stratégiques : cumuler les contraintes qu’elle nous fait supporter, et rendre le partage de la valeur plus injuste. La négociation seule n’y changera plus rien. Nous le répétons depuis les grèves et les élections de 2022 : sans moyens de pression côté syndicats, la négociation ordinaire avec la direction Worldline ne permet pas de vous défendre et de faire respecter vos droits.
Seul l’établissement d’un rapport de force peut permettre de reconquérir un juste partage de la valeur et le respect qui revient aux salariés.
Encore et toujours : se rassembler entre salariés pour faire valoir nos droits avec force
Pour défendre les droits des salariés, le moyen de pression « RCC » a été trop facilement abandonné à la direction par certains syndicats. Reste le moyen de pression de la solidarité entre salariés. Le monde change très vite devant nos yeux ; les syndicats sont la condition d’une lutte efficace… s’ils redeviennent forts et représentatifs, face à une direction qui assume désormais son unilatéralisme autoritaire et qui ne recule devant aucune manipulation. Car les syndicats ne tirent leur force que de leurs adhérents. Et si vous pensez qu’ils pourraient s’y prendre plus habilement ou plus efficacement, venez aider à les changer de l’intérieur !
Notre équipe CFTC sera heureuse de vous accueillir en son sein. Les membres de notre équipe sont joignables à tout moment, pour partager avec vous sur l’avenir et les actions nécessaires pour le bien de tous les Worldliniens.
En tant que salariés, ne restons pas seuls et désarmés, face à une direction désemparée et prédatrice dont le seul horizon est la valeur de l’action. Engagez-vous, rassemblez-vous, syndiquez-vous !
Bien à vous,
L’équipe CFTC
4 commentsOn Intéressement : monologue social – merci pour ce moment
Boeing est aussi en forte difficultés, dans un modèle bi-monopolistique avec Airbus certes, mais ça peut donner des idées.
A quand le retour d’un débrayage, mais à grande échelle surtout en cette période de fin d’année critique ?
https://www.lefigaro.fr/societes/boeing-offre-une-hausse-des-salaires-de-30-sur-quatre-ans-pour-mettre-fin-a-la-greve-20240923
Si une entreprise outre-Atlantique le fait, pourquoi pas de ce côté de l’océan ?
C’est toujours une option que nous avons en tête, dans une période aussi compliquée que celle qu’on vit 😉 C’est sûr qu’avec tous les incidents de prod qu’on a eus, ça mettrait la direction sur les dents !
[https://www.economie.gouv.fr/entreprises/prime-partage-valeur#] “La prime de partage de la valeur ne peut, en aucun cas, se substituer au salaire, ni à des augmentations de rémunération ou des primes prévues par un accord salarial, par le contrat de travail ou par les usages en vigueur dans l’entreprise, l’établissement ou le service.”
Si la Direction a rompu le dialogue et remplacé l’intéressement par cette PPV, les syndicats ne peuvent-ils pas agir ? De plus, cela pourrait remettre en cause les exonérations prévues puisqu’un intéressement a été versé dans les 12 derniers mois (article 3 de la loi du 29 novembre 2023)… si j’ai bien compris 😉
En l’occurrence, de notre compréhension, l’intéressement qui aurait pu être versé en 2025 n’est prévu par aucun accord, il n’a pas d’existence légale ; donc on ne peut pas dire que la PPV vient s’y substituer, du point de vue légal. On va quand même demander aux avocats du CSE ce qu’ils en pensent 😉
Quand à notre capacité à agir, comme on l’a écrit, malheureusement la direction s’est a priori bien protégée : “aucun compte-rendu des réunions de cette négociation n’ont été rédigés”. D’où notre bonne résolution de faire nous-mêmes ces CR !
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