RCC – analyse de l’accord : inégalités à la clé

In Négociations, RCC

Bonjour à tous,

Certaines communications se réjouissent de l’accord promulgué le 18 juin suite à la signature de 2 syndicats majoritaires. La CFTC a décidé, sans vraiment d’hésitation, de ne pas signer la proposition de la direction. Voici, en graphes et en chiffres, les raisons pour lesquelles nous pensons que l’accord n’est pas assez bon.

Un accord RCC en-dessous des standards du marché

Voici un comparatif réalisé par nos soins d’après des accords RCC récents dans des entreprises comparables à Worldline (grandes entreprises en bonne santé financière).

Quels que soient l’ancienneté et l’âge du salarié, vous pouvez constater que l’indemnité offerte par Worldline est bien souvent parmi les plus faibles du marché. Au mieux, dans la moyenne.

Cela corrobore nos estimations qui permettent de conclure que la direction va économiser 5 à 15 millions d’euros par rapport à l’enveloppe provisionnée pour les frais de départ chez Worldline France, grâce à cette RCC. Nos estimations sont effectuées d’après des données fournies par les Cabinets d’Experts travaillant pour le CSE France.

Disclaimer sur le principe d’une négociation RCC

Avant d’entrer dans les détails, nous nous réjouissons pour tous les collègues auxquels ce plan permettra de négocier un tournant souhaité dans leur vie (aubaine financière pour les uns, voie de sortie pour d’autres ou encore concrétisation d’une aspiration aussi bien professionnelle que personnelle). Mais cette satisfaction ne saurait occulter notre préoccupation devant le sort de beaucoup d’autres salariés qui vont pâtir des conséquences de ce plan de départ.

Le principe d’une rupture conventionnelle collective est d’inciter une partie des salariés à quitter volontairement l’entreprise en leur proposant des conditions suffisamment attractives pour les décider à sauter le pas, selon diverses modalités (création d’entreprise, nouveau poste salarié, reconversion ou retraite). Les aspects positifs de l’accord (mis en avant dans les communications de la direction et des syndicats signataires) participent de l’attractivité de l’offre. Cette attractivité est en principe essentielle à la réussite du plan de rupture et à l’atteinte de ses objectifs.

Il est entendu que le rôle des organisations syndicales dans ce type de négociations est de veiller à ce que les intérêts des salariés ne soient pas bafoués. Elles ne décident ni du budget global alloué, ni des objectifs réels de la direction de l’entreprise ; mais du fait du pouvoir que leur donne la loi via l’obligation de signature, elles peuvent instaurer un rapport de force leur permettant de repousser certaines limites ou d’infléchir certaines orientations de l’accord, en vue d’une plus grande équité par exemple. Elles peuvent encore s’efforcer d’arracher des garanties pour l’avenir des salariés restant.  

Pour ceux qui partent : de fortes inéquités de traitement

Beaucoup d’argent va profiter aux salariés partants, mais pas équitablement.

Jackpot pour les futurs retraités et les hauts salaires

Ces 2 catégories ont été défendues par les 2 syndicats signataires, avec succès :

Les futurs retraités

En plus d’être les plus prioritaires dans l’ordre des départs (avant les reconversions, CDI, etc), toucheront jusqu’à 40 mois de salaires d’indemnité (A partir de 30 années d’ancienneté).

Les futurs pré-retraités pourront même cumuler avec cette belle indemnité un équivalent de pré-retraite : 18 mois de « congé mobilité » avec maintien partiel du salaire : 12 mois à 75% du brut puis 6 mois à 55%. Soit environ 4,5 ans de salaire brut au total.

Les hauts salaires

Le plafond de l’indemnité a été haussé à 300k€ au dernier moment, à la demande d’un syndicat signataire (qui ne « voulait pas léser les hauts salaires »). Pour atteindre ce plafond, avec 40 mois de salaire, il faut un salaire mensuel de 7500€ (ce qui concerne 3 à 4% de la population Worldline France).

« 300K€ pour se débarrasser d’un employé… C’est juste dingue… »

Un collègue

Les anciennetés < 15 ans mal valorisées

Dans la plupart des RCC, les 10 ou 15 premières années d’ancienneté sont mieux valorisées que les suivantes. Chez Worldline, ce sera l’inverse :

  • les 15 premières années sont valorisées à hauteur de 1.25 MS/AA (mois de salaire par année d’ancienneté)
  • les suivantes sont valorisées 1.5 MS/AA

Conséquence évidente : les indemnités touchées par les salariés ayant moins de 15 ans d’ancienneté sont parmi les plus faibles de notre comparatif (voir plus haut). La RCC est donc peu incitative pour cette catégorie de salariés, qui représente pourtant 64% de la population totale.

Pyramide des anciennetés Worldline France au 1er janvier 2023

Nous tenons à souligner l’absurdité et la cruauté inhérentes à cet accord vis à vis des salariés directement visés par les suppressions de postes. En effet, beaucoup ne réunissent pas les conditions de niveau de salaire et d’ancienneté leur permettant d’envisager de partir grâce à un niveau d’indemnité à la hauteur des risques liés à une rupture de contrat.

Ces derniers vont voir leurs difficultés s’accentuer (nous les invitons du reste à se rapprocher du syndicat de leur choix). Ainsi, par exemple, les petits et moyens salaires avec une ancienneté n’excédant pas une quinzaine d’année, trop âgés pour espérer retrouver un emploi, mais bien trop loin de la retraite, devront choisir entre la peste et le choléra : la précarité professionnelle s’ils restent, la précarité financière s’ils partent. Nous tenons à rappeler que 800 000+ séniors (55+) sont aujourd’hui à France Travail. En outre, certains salariés seront contraints de déménager pour espérer trouver un nouvel emploi (notamment ceux des sites Blaisois et Vendômois) avec des coûts attenants qui ne sont pas couverts par les montants de leur indemnité.

Les faibles salaires défavorisés (techniciens, exploitants, assistantes…)

Les montants alloués aux bas salaires sont peu incitatifs. D’ailleurs, l’accord RCC ne prévoit aucun plancher pour l’indemnité de départ (seulement l’indemnité minimum légale), ce qui est très rare dans les RCC.

Pour prendre un exemple flagrant, si l’on compare la RCC Worldline et la RCC Microsoft de 2023 :

  • avec 10 ans d’ancienneté, un technicien touchant 25 000€/an percevra une indemnité de départ de 26 042€ ; ce serait minimum 9375€ de plus chez Microsoft (et même 13541€ pour un salarié de plus de 50 ans)
  • avec 15 ans d’ancienneté, un technicien touchant 35 000€/an percevra 54688 d’indemnité € chez Worldline ; contre 18229€ à 26395€ de plus chez Microsoft.

Pour aller plus loin…

  • Une RCC qui met en risque les salariés « qui restent » chez Worldline France
  • Pour les salariés dont le poste disparaît, très peu de garanties
  • Un process de mobilité interne flou
  • La création d’entreprise insuffisamment encouragée
Microsoft vs Worldline : comparaison des indemnités de départ RCC

L’emploi peu favorisé, en interne comme en externe

Un process de mobilité interne flou

La direction a souhaité inclure le process de mobilité interne dans la RCC, ce qui est assez curieux. De prime abord, cela peut inciter des personnes à rester chez Worldline tout en décrémentant le compteur de 266, ce qui permet de sauver des emplois dans notre entreprise et en France. Sauf que le process décrit est assez semblable à celui en vigueur chez Worldline, il n’y a donc guère de raison de penser que la RCC va par ce biais, accélérer les mobilités internes. Par exemple, l’accord aurait pu garantir de pouvoir bénéficier de formations d’adaptation au nouveau poste. De plus le process décrit est relativement informe, donc non auditable par les représentants du personnel…

Le seul engagement mesurable de la direction figurant dans l’accord est une « indemnité de mobilité fonctionnelle », ajoutée juste avant la signature de l’accord (mais le terme de mobilité fonctionnelle, qui semble différent d’une mobilité interne, n’est pas défini dans l’accord…).

Les autres engagements reposent sur le bon vouloir et la disponibilité des RH, ce qui n’est pas un gage de fiabilité d’exécution puisque ceux-ci sont sous-staffés.

La création d’entreprise insuffisamment encouragée

A la suite d’un autre syndicat, nous souhaitions particulièrement favoriser les quelques départs via un projet créant de l’emploi en France : la création/reprise/développement d’entreprise. Ces dossiers peuvent être longs à monter, aussi nous souhaitions que ces personnes aient jusqu’à mi-septembre pour finaliser leur dossier. Puisqu’ils créent de l’emploi, nous souhaitions ainsi que l’ordre de départage les rende plus prioritaires que les départs en CDI.

La direction n’y était guère favorable, et au final ces revendications ne figurent pas dans l’accord final.

Pour les salariés dont le poste disparaît, très peu de garanties

Nous avons plus haut, souligné l’absurdité et la cruauté inhérentes à cet accord vis à vis des salariés directement visés par les suppressions de postes : ils seront livrés à eux-mêmes pour s’assurer un avenir (chez Worldline, ou en dehors).

D’un côté, les mesures prévues pour les aider à se reconvertir chez Worldline (qui relèvent pourtant de l’obligation légale) ne sont guère plus qu’une déclaration d’intention : pas de temps de formation budgété, de suivi de la recherche de reclassement interne par les RH (qui n’ont pas le temps pour ça de toute façon), etc.

D’un autre, beaucoup de salariés dans cette situation ne réunissent pas les conditions de niveau de salaire et d’ancienneté leur permettant d’envisager de partir alors que l’indemnité sur laquelle ils pourront compter ne couvrira pas les risques liés à une rupture de contrat.
Ces derniers vont voir leurs difficultés s’accentuer (nous les invitons du reste à se rapprocher du syndicat de leur choix). Ainsi, par exemple, les petits et moyens salaires avec une ancienneté n’excédant pas une quinzaine d’année, trop âgés pour espérer retrouver un emploi, mais bien trop loin de la retraite, seront jetés aux orties : condamnés s’ils restent à la précarité professionnelle et s’ils partent, à la précarité financière. Nous tenons à rappeler que 800 000+ séniors (55 ans et +) sont aujourd’hui à France Travail. En outre, certains salariés seront contraints de déménager pour espérer trouver un nouvel emploi (notamment ceux des sites Blaisois et Vendômois) avec des coûts attenants excédant de beaucoup le montant de leur indemnité.

 

Aucune contrepartie à la logique dangereuse de cette RCC

Cette négociation RCC diffère des autres négociation en ce sens qu’elle va résulter dans la mise en risque dès le mois de septembre des salariés Worldline France « qui resteront » alors qu’ils sont déjà souvent sous forte pression et en sous-effectif. En effet, les fondamentaux de la RCC ne sont pas sains :

  • Elle implémente une logique de licenciements boursiers : pour améliorer les marges à court terme (dès 2024), on supprime 8% de postes pour alléger la masse salariale. Mais le périmètre d’activité demeurant à peu près identique, les salariés restants devront absorber en sus de leurs propres charges, les charges de travail laissées en déshérence par les partants.
  • Les job roles sont un référentiel de base plus que douteux. Le process de mise en place en a été bâclé, et on observe un décalage entre les postes réellement exercés par de nombreux salariés et les Job roles affectés.

« La liste des jobs roles est toujours présente. C’est toujours aussi injuste et c’est un risque de mettre la pression sur des gens qui ne veulent pas forcément partir. »

Un salarié (sur Twitter)
  • La disparité de traitement introduite entre les salariés par cet accord est considérable
  • De nombreux salariés expérimentés (et occupant souvent des postes-clés) ont démissionné, ne supportant plus l’incertitude sur l’avenir devant l’allongement de la négociation (dû pour l’essentiel à la direction et sa technique de négociation de « marchand de tapis »)
  • D’autres salariés sont totalement désabusés, ne pouvant plus cautionner la politique de la Direction Générale.

En conséquence, l’accord tel qu’il va être signé, sape les fondements mêmes du “travailler ensemble” chez Worldline, en induisant chez beaucoup de salariés un profond sentiment d’injustice.
Cela aurait justifié que les syndicats soient plus exigeants et obtiennent plus de contreparties pour mitiger les risques pour les salariés, avant de signer.

« J’ai déjà prévenu mon manager : si je pars bientôt, ça ne sera même pas pour des questions de salaire, mais parce que je ne peux plus cautionner ce genre de manœuvres de la direction. »

Un collègue (non éligible)

Pour ceux qui restent : « tough times are upon us », pas d’intéressement et aucune compensation

Pour mitiger les risques et le poids qui vont s’abattre sur les épaules des salariés qui resteront chez Worldline, nous avions exigé des budgets et des engagements concrets et SMART. Que ce soit sur des augmentations (NAO), primes (PPV), la prévention des Risques Psycho-Sociaux (RPS) et la Gestion de l’Emploi et des Parcours Professionnels (GEPP). L’accord ne contiendra qu’un engagement à faire mener 2 audits sur les RPS et la GEPP, et à ouvrir des négociations sur ces sujets, sans le moindre euro budgété.

Alors que 99.9% des sommes engagées concrètement dans l’accord RCC vont l’être pour « ceux qui partent », nous avions recommandé à certains de nos confrères en début de négociation d’attendre qu’un accord d’intéressement soit signé avant de parapher cette RCC. Las, ils ont signé le 18 juin. Et 7 jours plus tard précisément, nous apprenions… qu’il n’y aura pas d’intéressement touché en 2025. Seulement une PPV de 1500€, loin des 3000 à 3500€ proposés par la direction (y compris par écrit) en début de négociation intéressement.

Autant d’argent dans du désinvestissement humain…

Un collègue (sur Twitter)

Conclusion : un accord de RCC médiocre

Si cette RCC sera pour 266 salariés une aubaine ou une issue de secours bienvenue, pour les 3500 qui resteront, elle ne sera que cause de difficultés supplémentaires au quotidien. On aboutit finalement à un accord mal équilibré, implémentant la logique de la direction plus que celle des syndicats, et inférieur à ce qu’obtiennent les équipes syndicales dans d’autres entreprises équivalentes. Power24 avait un budget de 250 millions, la direction va en économiser une belle partie grâce à la France.

Du point de vue de notre groupe CFTC, il était moralement impossible de valider une proposition de la direction qui ne prévoyait rien pour remotiver « ceux qui restent », et défavorisait de nombreux partants potentiels : salariés d’anciennetés moyennes et faibles, ETAM (Employés, Techniciens, et Agents de Maitrise).

Après plus de 10 ans de politique court-termiste, les syndicats avaient une occasion unique de contrebalancer un peu le manque de vision de la Direction : pour une fois, il avaient du pouvoir et la direction avait besoin de leur signature pour mettre en place cette RCC. D’autant plus que la direction n’avait pas de plan B (comme le DRH l’avait reconnu devant tous les salariés en réunion d’information, fin février, et sa communication vers les salariés l’a sous-entendu clairement). Hélas, même l’accord d’Intéressement initialement prometteur n’aura pas été au bout. De notre point de vue, c’est une occasion gâchée.

Pour aller plus loin …

2 autres articles :

Comme toujours, n’hésitez pas à nous faire vos retours en commentaire ci-dessous, ça nous aide à mieux vous défendre !

Bien à vous,
L’équipe de négociation CFTC

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