Le tonnerre gronde – Analyse Power24 #3

In Actualités sociales, Idées

Ceci est la troisième et dernière partie de notre analyse du contexte dans lequel intervient le programme Power24.

Si vous avez manqué la deuxième partie, vous la trouverez ici.


Que nous promet vraiment ⚡Power24⚡ ? 

Lors de sa première allocution aux salariés, mr Grapinet nous a promis des temps difficiles : “Tough Times are Upon Us !”. 

Et nous, salariés, découvrons consternés qu’après des années de relative confiance dans sa capacité à gouverner l’entreprise, le seul horizon que nous propose l’équipe dirigeante, c’est l’intensification d’une politique mortifère d’économies tous azimuts, enclenchée depuis notre entrée en bourse. Ainsi afin de produire de la performance financière, tout a été passé et repassé au crible depuis des années, pour ne laisser au terrain que les moyens vitaux minimums permettant aux salariés d’assurer le maintien en ordre de marche des services numériques dont ils ont la charge.  

Telle la fameuse grenouille, qui ne saute pas hors de la casserole sur le feu alors que son bain devient progressivement brûlant, les salariés se sont graduellement résignés à des conditions de travail de plus en plus toxiques, à une politique d’offshorisation les dépossédant de parts de plus en plus conséquentes de leurs prérogatives et de leur identité professionnelle. Ils ont dû traverser tant bien que mal, les innombrables réorganisations, avec comme conséquences pour nombre d’entre eux, le deuil de leur projet professionnel. Ils ont été pris dans l’étau de l’injonction paradoxale à plus “d’empowerment” et d’innovation alors que des processus bureaucratiques de plus en plus intrusifs les privaient graduellement de toute leur autonomie et les forçaient à rentrer dans le rang.  
Ils ont aussi, pour beaucoup dû accepter, bien que choqués, la façon révoltante dont d’autres collègues (souvent dévoués et compétents) étaient soudainement traités, notamment ceux étiquetés lapidairement comme “séniors” ou “low performers”.

La nouvelle étape dans ce processus mortifère se nomme ⚡(Abus de)Pouvoir24⚡. Ce programme fait suite à des années d’une politique d’investissements minimalistes dont ont aussi bien pâti les services que les salariés, et qui a permis le financement d’une course malavisée à la fusion-acquisition. Et ne vous y trompez pas, ce programme ne marque pas notre sortie du tunnel, mais le moment où nous y entrons.  

 
L’absence prolongée d’innovation (opérationnelle, fonctionnelle, organisationnelle) nous précipite dans la prochaine phase de la politique de croissance externe.
Dans cette logique d’ “excroissance” (où Worldline colonise de nouvelles entités pour assurer sa survie), le respect des besoins en développement des hôtes porteurs est facultatif un temps, tant que la survie future de la structure parasitaire est garantie par l’absorption de nouvelles entités plus modernes. 


Une page qui se tourne 
⚡Power24⚡ c’est l’aboutissement d’une politique d’exploitation froide et cynique des personnes et des services, poursuivant à leur insu une trajectoire d’obsolescence programmée.  
C’est la fin d’un cycle de prédation, en l’occurrence la phase du décommissionnement des salarié.e.s, services et machines dès que leur fonction de “vache à lait”1 arrive à son inévitable terme, pour faire place nette aux activités plus modernes, absorbées durant la phase de croissance externe.  
 
Les conditions boursières ne permettent plus d’absorber les “déchets” (activités considérées comme des “poids morts” dans la logique du Boston Consulting Group, toujours à la manœuvre) produits par cette politique. L’équipe dirigeante va donc s’atteler à soulager l’entreprise de cette charge désormais jugée handicapante, pour ainsi en augmenter la rentabilité. 
Pour beaucoup de salariés, l’atterrissage promet des bosses et égratignures à la clé.

Nous voici donc arrivés devant l’inévitable issue d’une politique de conquête qui voulait faire de Worldline un empire. Et comme c’est le cas pour tous les empires, dès que l’expansion n’est plus possible, une phase de contraction lui succède.  

Mise devant les conséquences d’une stratégie qui n’a pas délivré les résultats attendus, notre direction, feignant d’être en contrôle d’une situation plus turbulente que prévue, estime n’avoir d’autre choix que de se recentrer sur la seule voie qui présente encore à ses yeux un potentiel de croissance et de marge (matrice BCG oblige) : MS, les services aux marchands.  
 
Le temps de nos belles ambitions semble malheureusement révolu.  
Exit l’usine monétique et le moteur d’innovation et de croissance que constituait notre unité de services transactionnels et de mobilité. “La réalité a donné tort” aux rêves d’antan. Après ce constat de défaite, devrait s’imposer le proverbial recentrage sur le “core-business” qui, faute de meilleures perspectives, s’est subitement réduit aux services aux marchands.  

C’est d’une certaine façon pour notre Conseil d’Administration, la reconnaissance de l’échec de sa vision. Après l’expansion, vient donc la contraction. En d’autres termes, il faut désormais payer l’addition. Les petits refactorings qui n’ont pas été bien faits par le passé nous imposent une grosse réécriture.


⚡Power24⚡ c’est d’une certaine façon l’espoir de recouvrer un peu de pouvoir sur une situation de plus en plus chaotique qui menace d’échapper au contrôle (voir à ce sujet cet article). C’est en l’occurrence la reconnaissance d’une perte de pouvoir. Et c’est surtout un vent de panique qui souffle sur un conseil d’administration décontenancé et auquel le marché n’accorde plus sa confiance. 


Les dieux de la finance ont soif de sacrifice 

Les salariés Français particulièrement, sont appelés à payer un lourd tribut à l’occasion du changement de status d’une partie de leurs services qui deviennent officiellement des “Poids Morts” (les fameux services legacy désignés à la vindicte managériale lors de la dernière allocution de notre actuel directeur général).

Tout est du reste écrit entre les lignes du programme ⚡Power24⚡ tel qu’il a été présenté aux investisseurs. Nous pouvons résumer cela en quelques mots : 

  • Arrêts de services historiques, anciennes “vaches à lait” devenues “poids morts” et fin de certains contrats avec des clients prestigieux (Visa par exemple) dès que la marge (même positive) fait baisser la marge moyenne de l’entreprise. 
  • Rupture conventionnelles individuelles et collectives, pour les personnes auxquelles on n’entend plus trouver d’utilité ou dont la fonction peut être sous-traitée sous d’autres horizons.  
  • Et donc, off-shoring massif, 
  • Vente des activités non-cruciales par étage, par tiroir, à la découpe et à qui voudra bien les acheter. 

De nombreux salariés en 2024, seront donc sacrifiés sur ce symbolique autel flanqué de ses quatre piliers. Et beaucoup d’autres, confiance en berne, resteront dans la crainte et que revienne un autre Power25 ou Power26 si les mauvais résultats perdurent.

Power24 ⚡ : mais que cache donc ce nom de détergent?  

Il parait aujourd’hui évident que le directeur général actuel, pour sauver sa tête, a décidé de lancer ses dernières forces et le peu de crédibilité que lui prête encore le marché, dans la campagne de la dernière chance qui prendra la forme d’une stratégie du choc.  

Et comme on pouvait s’y attendre c’est à nouveau en ministre des Finances et non de l’Industrie ou du développement durable, que choisit d’agir notre dirigeant.  

La plateforme est en feu ? 

Malgré nos plus de 25% de marge brute, nous voici donc précipités via une “stratégie du choc” (que l’iconographie managériale nomme “Burning Platform”), dans l’archétypale offensive de la dernière chance, lors de laquelle tous les moyens légalement praticables (ou dissimulables) seront justifiés pour que les investisseurs recouvrent une partie de l’énorme capital parti en fumée.

Nos anciens cadres RH habitués aux climats plus sereins ont déjà été écartés et remplacés par des praticiens confirmés des purges de personnel, sans aucun passé dans l’entreprise, sans connaissance du métier de développeur et de l’informatique, et n’ayant comme horizon, ni projet, ni vision RH, mais une macabre mission à laquelle ils s’affairent déjà. La machine à hacher les salariés achève son tour de chauffe pour bientôt passer en régime de croisière. 
 
L’opération « low-performers » du printemps dernier (qui vient d’être formellement renforcée par une injonction faite aux managers de pratiquer un (dé)classement forcé, afin de faire rentrer la performance de l’entreprise au chausse-pied dans une courbe de Gauss) n’a sans doute pas été mise en branle que dans le but de convaincre les infortunés stigmatisés d’augmenter leur productivité. Il s’agissait d’un marquage des bêtes personnes vues comme des sources d’économies potentielles.

⚡Power24⚡ (présenté il y a peu comme une nouvelle trouvaille de la direction) est en fait enclenché depuis plus d’un an. Pendant que notre dirigeant servait de fallacieuses promesses de résultats aux marchés, pendant que les salariés se démenaient à produire de la valeur dans un climat stressant, de zélés et besogneux bureaucrates planifiaient les différentes vagues de dégraissage du laineux pachyderme.  
 

Comme les pauvres travailleurs pétroliers sur leur « plateforme en feu », vous aurez le choix entre risquer de mourir carbonisés en restant sur la plateforme ou bien risquer de mourir d’hypothermie et de blessures internes en vous jetant de très haut dans une mer glaciale. Quel que soit votre choix, le principe de ce faux dilemme2 est de vous forcer à accepter de faire des choses que vous auriez refusées en temps normal. 

Sacrifiés à la place des vrais coupables

La première ligne de défense est de réfuter les narratifs fallacieux. 

La réduction d’effectifs prévue ne correspond qu’à une décision de gouvernance d’entreprise conçue pour maximiser les gains à court terme des actionnaires au détriment des salariés, alors que l’entreprise est éminemment rentable (plus très loin des 30% de marge brute).  

Nous souffrons aujourd’hui d’un problème de confiance qui a pour cause une équipe dirigeante (devrions nous dire “détergente” ?) qui n’est plus à la hauteur. Pourquoi alors s’en prendre à la cheville ouvrière de l’entreprise ?


Indignons-nous

Toutes ces personnes longtemps indispensables méritent beaucoup mieux que d’être traitées comme des consommables à mettre au rebut.    

Et la simple logique voudrait que dans l’optique d’une reconquête de la confiance des investisseurs et des salariés, il soit fait appel à une nouvelle équipe dirigeante possédant les qualités et la vision pour porter l’entreprise vers l’avenir que nous méritons.  

Il n’incombe pas aux salariés de financer par leur détresse et leurs difficultés, une fuite en avant de dirigeants en panique et qui sont devenus le problème !  Le conseil d’administration a mis la société dans cette situation ; il incombe donc aux actionnaires qu’il représente, d’honorer la facture.

Si pour une partie des salariés, partir il faut, ce sera dans la dignité, dans le refus des manipulations, des harcèlements et des honteuses méthodes de déstabilisation psychologiques qui s’exercent déjà ici et là sur un certain nombre de collègues. Si partir il faut, ce sera avec une compensation juste tenant compte, d’une part, du préjudice causé, et d’autre part de l’état d’employabilité des personnes.  


La solidarité comme seul vrai recours 

Mais cela ne se fera pas sans la mise en place par les salariés du rapport de force nécessaire au maintien en respect de leurs voraces appétits. Au risque de prêter le flanc à la critique facile de benêts plus prompts à regarder le doigt que ce qu’il montre, et qui auront vite fait de hurler au “point Godwin”, nous aimerions rappeler les paroles du Pasteur Martin Niemöller pour ce qu’elles recèlent d’universel quand il s’agit pour les faibles de résister aux abus et aux dérives des puissants.  

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. 

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. 

Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. 

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » 


Quelle que soit votre situation au sein de Worldline, seules aujourd’hui la solidarité et la cohésion vous permettront d’envisager l’avenir avec un minimum de sérénité et de dignité.  
Si nous ne nous serrons pas les coudes, dites-vous bien qu’en face, ils sont bien solidaires et n’ont l’intention ni de faire dans la dentelle, ni de vous parler avec des fleurs. Ils ne nous respecteront que s’ils y sont contraints. 

Apaisement du Climat Social ? 

Dans la configuration actuelle, de fortes tensions sociales sont à craindre. Et comme lors du précédent conflit social qui a eu lieu en 2022, l’équipe dirigeante aura tôt fait de nous exhorter à l’apaisement du climat social alors qu’elle y met le feu.

Puisque notre conseil d’administration en a décidé ainsi, l’année 2024 s’annonce éprouvante. Mais c’est dignes, avec la tête haute et dans la conviction d’un destin partagé que nous allons l’affronter tous ensemble.  
 
Tenez-vous prêts !  

N’hésitez pas à réagir en commentaire.
Toute l’équipe CFTC

  1.  La logique à l’œuvre depuis le début dans la gestion des services de l’entreprise est celle proposée par la matrice du Boston Consulting Group. Il s’agit d’un outil de planification stratégique qui aide les entreprises diversifiées à allouer au mieux leurs ressources.  
    Dans cette approche, les activités stratégiques d’une entreprise sont classées selon quatre catégories :  
    Les “vedettes “qui présentent une forte rentabilité mais qui nécessitent des investissements. C’est en investissant massivement pour augmenter autant que possible sa part de marché dans les « vedettes », que l’entreprise prépare son futur. Ces « vedettes », en vieillissant, deviendront des « vaches à lait ».  
    Les “vaches à lait” sont des domaines d’activité pour lesquels la croissance est relativement faible. Ce sont des activités nécessitant peu de nouveaux investissements aussi bien en capacité de production qu’en besoin de financement opérationnels. Ce sont les activités où les réductions de coûts de fonctionnement sont recherchées, car, le coût est un des moyens de différentiation essentiel. Elles dégagent un flux financier important, qui devra être réinvesti dans des activités vedettes ou dilemmes (ou dans la croissance externe). 
    Les “poids morts” sont les activités à faible potentiel de développement et à rentabilité déclinante, voire négative. C’est en général le statut que finissent par obtenir les anciennes “vaches à lait” L’activité des “poids morts” peut conserver sa rentabilité si elle bénéficie d’une “ombrelle” de prix créée par le concurrent dominant du marché.  Dans ce cas l’entreprise peut conserver un “poids mort” à condition de se contenter de dégager des liquidités. Si l’activité n’est pas assez rentable, il faut y mettre un terme, soit en la vendant, soit en s’en désengageant. Le désengagement s’effectuera en pratiquant sélectivement des prix permettant la meilleure rentabilité possible.   
    La dernière catégorie est occupée par les “dilemmes”. Elle doit son nom au fait qu’elle regroupe les activités peu rentables malgré une croissance élevée. Ce qui pose un dilemme entre d’un côté, le besoin d’un investissement massif en vue d’améliorer la position concurrentielle et de réduire l’écart avec les leaders, ou de l’autre côté, une vente de l’activité si l’écart avec les concurrents est jugé trop important pour espérer transformer le dilemme en vedette puis en vaches à lait.. 
    L’histoire cependant ne dit pas où le BCG classe aujourd’hui sa matrice : dans les “vaches à lait” ou dans les “poids morts” ? 😉
  2. Le faux dilemme est un raisonnement fallacieux qui consiste à présenter deux solutions à un problème donné comme si elles étaient les deux seules possibles, alors qu’en réalité, il en existe d’autres.

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3 commentsOn Le tonnerre gronde – Analyse Power24 #3

  • Bonjour,
    Je suis plutot decus par les syndicats worldline. Pendantque la RH pose une reunion d’information par semaine et nos manager / grand manager pose aussi une reunion toutes les 2 seamines aucune news/info des syndicats hormis un mail qui est envoyé de temps en temps (tout syndicats confondu).
    A quand des informations partagés par un intersyndical avec un contre pouvoir.

    Actuellement et pour moi je met direction WL 10 points et syndicat 0 point.

    • La direction monopolise du temps, mais factuellement, quelle information nos managers apportent ils lors de ces réunions ?
      Personnellement, je n’en voit aucune.

      • Bonjour à vous 2,
        merci pour vos retours !!

        effectivement la direction est nettement plus proactive que les syndicats. Il faut dire qu’il est bien plus facile pour le DRH (qui agit quasiment seul côté direction) de prendre des décisions et de communiquer, que pour les 30+ négociateurs de 4 syndicats différents de se coordonner et se mettre d’accord.

        Effectivement Bidule, nous pensons que ces réunions d’informations sont plutôt destinées à influencer la négociation qu’à réellement informer les salariés. Nous le ferons savoir à la direction demain sur Villeurbanne…

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