Les mésaventures d’un champion (des paiements) – analyse Power24 #1

In Actualités sociales, Idées

“Il n’est pas possible de résoudre nos problèmes avec les façons de penser qui les ont causés”

Albert Einstein

Petits égarements financiers

Il n’aura échappé à personne que notre entreprise est depuis quelques années, tombée de charybde en scylla. L’histoire retiendra cependant le record historique de la plus grosse chute boursière jamais enregistrée au CAC40 en une seule journée, exploit à inscrire au crédit de notre direction.

Même si personne ne s’attendait à un évènement d’une telle ampleur, des signes de fébrilité se faisaient particulièrement sentir depuis le début de l’année 2023. Nous les avions remontés plusieurs fois à la direction, notamment lors de la négociation 2023 sur l’intéressement.

Ces indices laissaient pressentir que l’aventure Worldline allait prendre une tournure déplaisante. C’est chose faite.

2024 sera donc être l’année d’un grand « dégraissage » qui répondra au doux patronyme de :  

Power24 ⚡   

Pourquoi ce (nouveau) plan “d’économies” ?

Cette question posée en CSE, nous a valu une réponse convenue et sans surprise.
Il s’agit, en démontrant au marché notre capacité à afficher de meilleurs résultats financiers, de regagner la confiance des investisseurs et de raviver une flamme boursière qui vacille dangereusement.  (Bullshitomètre : “La sanction de Worldline est trop sévère !” – 26/10 – bfmtv.com )
Une armada de contrôleurs de gestion et de décideurs financiers s’affaire déjà à tracer sur la masse devenue lourde de notre entreprise, d’épais traits au marqueur destinés à accueillir la morsure de leurs bistouris. Cette opération de chirurgie esthétique redonnera, sinon la santé, tout au moins, une aguichante silhouette financière à notre entreprise, dans l’espoir de réintégrer la haute société du CAC40 ; ou bien probablement, celui de finir dans l’escarcelle d’une société de capital-investissement, à l’instar de la société de paiement Nexi, elle aussi addicte repentie des fusions-acquisitions.

La chute en bourse, même si elle est plutôt sévère[1], a sanctionné un modèle Worldline à bout de souffle, peinant à répondre aux attentes sur Q3 2023, particulièrement en termes de marge opérationnelle et plus généralement aux grandes mutations déjà bien affirmées de nos marchés.

L’urgence de notre direction aujourd’hui est de rassurer des actionnaires aux abois, épouvantés par deux ans de fonte comme neige au soleil, de leur capital (des milliards d’euro, de quoi gâcher leur sommeil).

Une réaction de panique

Comme vous vous en doutez, ils veulent aujourd’hui voir notre action anémique regagner un peu de sa vigueur d’antan et ce “quoi qu’il en coûte”. Il en va de leur survie à la tête de l’entreprise.

Mais c’est sans compter avec un marché “ours”  qui est là pour durer. En effet, en vertu des remontées spectaculaires des taux d’intérêt décidées par les banques centrales afin de lutter contre l’inflation, des voies d’investissement autrement plus lucratives se sont ouvertes aux véritables investisseurs (ceux dont la vocation n’est pas la spéculation boursière). Ce qui nous garantit de ne plus les revoir avant un moment, à moins bien-sûr que nos perspectives de croissance repartent significativement à la hausse.
 Cette nouvelle situation compromet hélas (certains diront enfin) notre stratégie historique de croissance externe, justement basée sur le maintien à un niveau élevé du cours de notre action permettant de gober plus facilement via échange d’actions les[PB1] sociétés prêtes à offrir leurs bras au plus offrant. Cette stratégie semble avoir mobilisé la majeure partie de l’énergie de notre haute direction, au détriment d’autres dimensions pourtant vitales de notre entreprise. En d’autres mots, nous voici comme diraient nos voisins d’outre-manche, plutôt pris au dépourvu avec notre pantalon plus ou moins sur les chaussures …
Notons du reste que ces mêmes gros actionnaires sont aux commandes de l’entreprise (par le biais du conseil d’administration) et ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.


⚡ PowerShortage24 ⚡ – Un plan peu surprenant et sans originalité

Dans le but de faire remonter notre capitalisation boursière,ce plan actionne un même sempiternel levier : augmenter la rentabilité de l’entreprise. L’ambition est cette fois-ci de produire un électrochoc (⚡ Power24 ⚡) dans l’optique de réduire très vite nos coûts fixes (toujours et encore). Ce que nous n’avons pas vraiment réussi à faire pendant maintenant les deux lustres qui ont vu s’empiler avec les résultats que l’on sait, programmes d’économies sur programmes d’économies, va maintenant advenir grâce… à ce nouveau programme d’économies, qui se veut cette fois-ci très agressif.

 A moins comme le pensent les plus pessimistes, qu’en guise d’électrochoc, ce soit une belle ⚡chute de tension ⚡ qui nous attende.

Et la qualité, bordel ?

(pardonnez ce cri du coeur)

L’expérience montre que mettre la charrue des économies avant les bœufs de l’efficience opérationnelle conduit régulièrement à une dégradation générale de la qualité. La recherche de l’excellence opérationnelle dans l’obsession de faire des économies, entraîne la plupart du temps vers les choix les moins avisés. Et ce, parce que les façons de penser, les méthodes (pilotage par les budgets) et les intentions ne sont pas orientées vers une meilleure création de valeur.

En effet, les injonctions lâchées comme des bombes à eau depuis le sommet de la tour d’ivoire de la direction générale, se traduisent en objectifs parfois antinomiques les uns des autres[2], inscrits dans les business score-cards de nos cadres supérieurs. Ce sont ces petits carnets de notes qui décident de l’octroi de grasses primes de réussite (toujours tenues secrètes) dont les montants finissent par aveugler nos cupides impétrants, prêts à tout pour atteindre leur objectif local[3], sans se soucier outre mesure de l’effet de leurs actions sur le fonctionnement global de l’entreprise. Cette nonchalance extorque toujours les mêmes victimes : la qualité de service et les conditions de travail.
Affubler ces programmes d’économies massives, d’étiquettes avantageuses telles que Devops, Agile, Lean (et/ou autres vocables faisant rêver notre industrie mais qui demandent un gros travail de fond), s’assimile à de la pensée magique. Ou pire encore dans une version cynique, à de la communication trompeuse destinée à faire avaler les pilules.
Quand ne changent ni les façons de penser, ni les personnes qui les portent et les incarnent, les chances sont maigres pour qu’évoluent les angles d’attaque adoptés en vue de résoudre nos problèmes endémiques. C’est comme cela que sont assurées la perpétuation de ces derniers ainsi que l’immuabilité de nos déconvenues.  

Sans véritables changements des approches et des esprits, la réalité continuera à nous mordre les mollets sous la forme de dysfonctionnements, de perte de qualité, de mécontentement des clients et des salariés, d’attrition du personnel, d’environnements de travail toxiques ainsi que d’épuisements professionnels -la liste est encore longue-. Pour finir, au grand dam de tous les salariés Worldline, sur un titre boursier qui regarde le précipice pendant que les investisseurs détournent leur attention.

La permacrise* continue

(*voir notre article Worldline : géant Agile ou d’Argile, partie 1)

Comme déjà mentionné dans notre premier article de présentation de ⚡ Pouvoir24⚡, la direction nous rappelle que nos coûts fixes (coûts qui impactent directement les ratios financiers relatifs à la rentabilité de l’entreprise) ont fortement augmenté depuis la guerre en Ukraine (inflation, fluctuation du coût de l’énergie). Et que nos décevants résultats seraient également imputables à un relatif ralentissement de la croissance en Allemagne, notamment, mais aussi aux conséquences d’un douloureux audit réglementaire dont PayOne a fait les frais, les forçant à se séparer de clients douteux… mais lucratifs.

Les causes de nos déboires ne seraient donc liées qu’à de regrettables épiphénomènes économiques externes que personne ne pouvait anticiper, et en aucun cas à l’irréprochable gouvernance dont a bénéficié notre entreprise. Ainsi, ni notre stratégie, ni nos modèles d’affaire, ni nos modes opératoires, ni notre culture ne semblent devoir être réexaminés ou mis à jour.

Nous ferons donc cet examen nous-mêmes dans la 2ème partie : Droit d’inventaire.


[1] Worldline est une société faisant un chiffre d’affaire d’un peu plus de 4 milliards en progression régulière. Sa capitalisation boursière de “seulement” environ 4 milliards semble indiquer que le marché ne croit pas à un potentiel de croissance significatif et/ou que l’équipe dirigeante a perdu sa confiance

[2] Comme l’injonction de fermeture des salles serveurs pendant les périodes de freeze ou bien encore la conduite d’un programme de changement au service Transfert de Fichiers avec absence de prise en compte d’une grosse partie des impacts pourtant identifiés par les parties prenantes. Le cas de ce programme nécessiterait un article à lui tout seul (que nous écrirons peut-être) tellement il constitue un cas d’école d’une tentative de changement, violente et toxique, menée à la hussarde, qui finalement, non contente de ne pas avoir atteint les objectifs spécieux et irréalistes fixés par on ne sait quels cerveaux troublés, a contraint ses instigateurs à déclarer forfait, suite à l’accumulation des difficultés qu’ils avaient ignorées. Cette mésaventure a cependant laissée dans son sillage des équipes en difficulté, des salariés écœurés et démotivés, de grosse difficultés opérationnelles à venir, ainsi qu’une perte financière, notamment en coûts de licence et de support étendu à renégocier avec un fournisseur inélégamment éconduit et soudainement en position de force, maintenant que notre société a de nouveau besoin de lui de façon impérieuse. Bien évidemment ces “économies négatives” ont peu de chances de figurer au palmarès de ⚡ Pouvoir24 ⚡ alors que rien de positif émanant de cette tentative de “changement” dont un des principes consistait à déplacer les charges de travail de PS en BU, ne viendra adoucir ce constat sans appel.

[3] Et ne surtout pas délivrer plus que demandé afin d’une part d’en garder sous le coude pour les prochains objectifs et d’autre part de ne pas exciter la cupidité des financiers qui rehausseraient aussitôt la barre


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