Vendredi 13 septembre 2024, Worldline a annoncé 2 informations :
- 1 – un profit warning et une révision à la baisse des objectifs, pour la 3ème fois en un an
- 2 – le départ de Gilles Grapinet, poussé vers la sortie (par le Conseil d’Administration )
Peu après, Worldline s’est fait encore plus descendre par les analystes financiers, et la chute en bourse s’est poursuivie. L’action plonge vers les abimes et semble condamnée à subir le même sort que celle de sa grande sœur Atos. De quoi s’inquiéter sur notre avenir à tous : Worldline est-il un Titanic ? Pour l’instant le bateau flotte encore ; faut-il le fuir ?
Afin de vous aider à réfléchir à votre avenir individuel, tentons de porter un regard objectif sur la situation.
Partie 1 : la chute en bourse
Etat des lieux chiffré
Pourquoi les investisseurs fuient l’action Worldline ? Parce qu’ils n’ont plus confiance en Worldline, qui ne cesse de revoir ses objectifs à la baisse, en produisant systématiquement des explications très peu convaincantes liées à la conjoncture (que nous partageons pourtant avec nos concurrents bien plus en réussite).
Chiffre d’Affaires (Revenue) | Marge brute (EBITDA ajusté) | Trésorerie (Free cash flow) | Cours de l’action | |
Résultats 2022 | +10.7% (€ 4,364m) | 1 133 m€ 26.0% | 520m€ (45.9% de la marge) | 42.9€ (21/02/2023) |
Résultats 2023 | +6.0% (€ 4,610m) | 1 110 m€ 24.1% | 521m€ (46.9%) | |
Objectifs 2024 définis et confirmés en 2023 | +9% to +11% sur 2022-2024 | S’approcher de 30% | 50% de l’OMDA (soit au moins 600m€) | |
Objs 2024 révisés le 25/10/2023 | Au moins +3% | Au moins 1 170m€ | (Non spécifié) | 9.42€ -59,2% en une journée |
Objs 2024 révisés le 01/08/2024 | ~ +2% à ~ +3% | 1 130 m€ à 1 170 m€ | ~230m€ | 8.89€ -15,3% |
Objs 2024 révisés le 13/09/2024 | ~ 1.0% | 1 100 m€ | ~200m€ | 7.25€ -14,4% |
Cours de l’action au 23/09 : 5.90€
Pourquoi ce nouveau Profit warning ?
Le 25 octobre 2023, c’était une baisse de la consommation des ménages en Allemagne qui avait été mise en avant par la direction Worldline pour expliquer la révision des objectifs. Le 13 septembre 2024, Worldline a fait état “de performances moins bonnes que prévu, en Australie et en Nouvelle-Zélande notamment”. Pour la direction, la cause de nos problèmes est donc externe : Worldline serait positionnée sur des segments de marché peu dynamiques en ce moment (en termes de consommation des ménages), ce qui nous empêcherait de performer autant que nos concurrents. En effet, le repli quasi-exclusif de WL sur les services aux marchands MS nous rend de plus en plus dépendants de la consommation des ménages et des entreprises. De plus, le relatif délaissement de MTS et FS nous a amenés semble-t-il à une moindre rentabilité de ceux-ci.
Les analystes financiers sont très sévères avec l’entreprise
Mais pour les experts économiques accompagnant le CSE Worldine France, c’est aussi en partie la faible croissance du Chiffre d’Affaires qui est la cause de nos déboires boursiers : “pour comparaison, les principaux concurrents affichent des taux de croissance bien supérieurs (+5% à +6% pour NEXI, Global Payments et FIS et +15% pour Fiserv) et des taux de marge en amélioration“. La problématique de Worldline semble donc interne (nous perdons des clients et/ou n’arrivons plus à en gagner suffisamment de nouveaux) plutôt qu’externe.
Et pour certains observateurs, le problème est encore plus général : “Après ce nouvel avertissement sur résultats et le départ du CEO historique, nous avons le sentiment que le mal est plus profond qu’une simple crise de croissance après une période intense d’acquisitions”. “Alors que l’avertissement [sur bénéfices = profit warning, NDLR] a un impact relativement limité sur nos attentes, c’est surtout l’absence totale de visibilité qui prédomine désormais et qui fait craindre que le plan Power24 ne sera pas suffisant et que de nouvelles restructurations seront nécessaires” rajoute Invest Securities.
Vu la trajectoire de l’action, plonge-t-on vers le même destin qu’Atos ?
Certes, l’action baisse dramatiquement. Certes, les méthodes de gestion à base de réduction des coûts ont les mêmes effets délétères sur le fonctionnement interne de l’entreprise que chez Atos. Pour autant, la situation économique n’est pas vraiment comparable. Nos marges baissent progressivement aussi, mais on reste au-delà de 20% de marge brute (EBITDA ajusté) ; ce qui est signe d’une excellente santé financière selon les experts financiers accompagnant le CSE.
Une différence essentielle entre Atos et Worldline est le taux d’endettement. C’est un problème colossal côté Atos. Mais côté Worldline, on est revenu à un endettement raisonnable avec la revente d’Ingenico. De plus, cette dette s’amenuise progressivement, grâce au cash-flow dégagé par l’entreprise chaque année.
Cette différence d’endettement est aussi due à un business-model différent. Chez Worldline, le modèle “Produit” (Ogone, Sips, etc) et de paiement “à la transaction” nécessite un investissement raisonnable pour générer du CA. Là où Atos réalise des projets comportant énormément de développements qui sont payés en fin de projet, ce qui nécessite donc énormément d’investissements, et en l’occurrence d’endettement.
Partie 2 : Gilles Grapinet viré
Quelles conséquences pour nous, salariés Worldline ?
A court terme, on ne va pas sentir beaucoup de différences : « Sous le leadership de Marc-Henri Desportes, nous allons poursuivre l’exécution de Power24 et de toutes nos grandes initiatives de développement », déclare Wilfried Verstraete, président du conseil d’administration de Worldline. Donc Power24 continue et la RCC ne va pas être impactée (source : Direction RH France).
A moyen terme, on rentre probablement dans une période de flou et d’attentisme, qui pourrait durer 6 mois à un an. Une illustration de cet attentisme : « La journée investisseurs, initialement prévue le 26 novembre 2024, est reportée afin de permettre au nouveau directeur général de contribuer au processus de définition de la stratégie ».
Cette période correspond au temps nécessaire pour :
- Trouver et nommer le nouveau DG (potentiel)
- Que celui-ci puisse évaluer la situation de Worldline
- Qu’il puisse en déduire une nouvelle stratégie, avec l’appui du conseil d’administration
- Que cette stratégie soit ensuite mise en œuvre
Au mieux, cela n’est pas de nature à favoriser un intéressement et des augmentations généreuses pour 2025, au pire, faute de temps pour faire dans la dentelle, les actions fortes que le marché boursier attend vont prendre une forme beaucoup plus brutale, et pour les salariés, et pour l’entreprise. Nous mettions en garde contre ces éventualités il y a plus d’un an et constatons avec effarement que Worldline est happé vers ce précipice sans que plus personne ne soit en mesure de l’arrêter…
Comment réagissent les actionnaires à l’annonce du départ de Gilles Grapinet ?
Plutôt bien, c’est une décision assez évidente et attendue : “Le conseil d’administration a pris la bonne décision, même si nous aurions préféré qu’elle intervienne plus tôt“, salue le fonds d’investissement Bluebell Capital Partners, qui avait poussé pour un renouvellement du Conseil d’Administration ces derniers temps.
Néanmoins, la baisse du cours de l’action a montré que pour les investisseurs, le retour de la confiance se jouera sur d’autres critères que le simple départ de Gilles Grapinet. Le profit warning semble confirmer les craintes du marché concernant la nature structurelle de problèmes bien plus profonds et fondamentaux qu’une « simple » problématique de gouvernance.
Combien de temps cela va-t-il prendre de trouver un nouveau CEO ?
Il avait fallu 3 mois pour nommer le successeur de notre président Bernard Bourigeaud, après son décès en décembre 2023. Pour remplacer Mr Grapinet, le CA souhaite faire plus vite. Un cabinet de recrutement a été chargé de cette mission. Mais faire très vite semble difficile… sauf à avoir des candidats déjà identifiés.
Quel sera le profil du nouveau CEO ?
Le CA (Conseil d’Administration) qui a démis Gilles Grapinet n’est plus le même qu’il y a un an. Il a été largement renouvelé :
- un nouveau président (Wilfried Verstraete) auréolé d’un beau CV,
- 6 départs (dont de nombreux soutiens de Gilles Grapinet),
- 3 arrivées d’actionnaires beaucoup plus « challenging ».
Le CA semble donc sorti du modèle « chambre d’enregistrement des décisions du Directeur Général précédent » qui prévalait lorsque le CA était composé majoritairement d’ex-Atos. Le profil recherché n’est donc probablement plus le même , mais plus celui d’un gestionnaire exécutant, en charge de mettre en œuvre la stratégie définie collégialement par le CA.
Ce rôle de gestionnaire, ressemble au rôle de MHD depuis le début de l’aventure ; or celui-ci semble se projeter sur le long terme chez Worldline, si l’on se fie à son échange avec les salariés du mardi 17 septembre. Un Christophe Duquenne, qui possède une parfaite connaissance de l’entreprise depuis 30 ans, souhaiterait-il postuler aussi ? Mais comment le marché, qui a sans doute besoin d’un vrai signal de renouveau, réagirait il ?
Les salariés seront-ils encore la variable d’ajustement ?
En interne, au niveau stratégique, pour l’instant c’est le statu quo, en attendant la nomination du successeur définitif de Gilles Grapinet . Ainsi, un Power25 n’est pas prévu à l’heure actuelle (la mise en œuvre de Power24 n’est d’ailleurs même pas achevée). Mais le management en place va tout de même “gérer les affaires courantes”. Par exemple, les manœuvres de repli stratégique qui auraient pu être décidées (comme la revente massive éventuelle de certaines activités) poursuivront leur cours.
Notre cure d’austérité et de restructurations est sans doute loin d’être arrivée à son terme. Worldline n’est plus la même entreprise prospère que celle que Gilles Grapinet a pris sous sa direction il y a plus de 10 ans. Malgré des fondamentaux financiers solides, ses problèmes sont désormais nombreux et menacent son existence à long terme. Enormément de choses devront changer très vite, ce qui demandera beaucoup de clairvoyance et de détermination au Conseil d’Administration, qui a apparemment décidé de reprendre les choses en main ; mieux vaut tard que jamais.
Une vision optimiste de la situation inclurait un nouveau dirigeant plus conscient de la complexité de diriger une entreprise d’IT en 2024, et surtout plus à l’écoute d’un conseil d’administration jouant enfin son rôle ; ce qui permettrait éventuellement à Worldline de redresser la trajectoire. Cela prendrait plusieurs années, si le destin nous est favorable. La société, sa culture, ses modèles business et sa taille seraient alors méconnaissables à l’issue d’un processus de transformation qui ne se fera pas sans casse.
Va-t-on être rachetés ?
En externe, on peut s’interroger sur le rachat de l’entreprise par des investisseurs plus ou moins bien intentionnés (les plus anciens se souviennent du coup de force de Pardus et Centaurus chez Atos, qui avaient pris 23% des parts). Le prix dérisoire de l’action nous expose effectivement à ce genre de manœuvres : l’entreprise au global vaut moins de 2 milliards d’euros (pour mémoire, Ingenico avait été rachetée 7,8 Mds €).
MHD a relativisé ce risque à court terme, la période d’instabilité actuelle y semblant peu propice ; à moyen terme en revanche, il estime que le moyen de s’en prémunir serait de faire remonter l’action. L’entreprise s’inscrit à ce titre dans la lignée de la doctrine de Gilles Grapinet qui nous a conduit au “succès” que l’on connait.
De plus, le risque d’une prise de pouvoir extérieure au Conseil d’Administration semble mitigé par l’engagement de nos 3 actionnaires principaux (Six Payment Services, le Crédit Agricole et la Banque Publique d’Investissement – représentant l’état français) qui possèdent environ 30% des parts, garantissant en théorie une certaine stabilité pour peu qu’ils deviennent plus regardant et s’impliquent dans la gouvernance de l’entreprise.
L’action va-t-elle remonter bientôt ?
Il fait actuellement consensus que l’entreprise est actuellement sous-cotée. Mardi 17/09, MHD évoquait un étiage raisonnable autour de 22€ pour l’action Worldline. La question est donc de savoir si l’on peut retrouver la confiance des investisseurs rapidement, pour que le cours de l’action revienne à un niveau plus rationnel.
D’après une analyse externe récente d’un observateur financier qui semble bien informé, cela semble possible sous 1 à 3 ans, mais à certaines conditions : que l’entreprise ne soit pas structurellement altérée (ce qui, vu de l’intérieur, n’est pas certain – qu’en pensez-vous ?), et que l’économie européenne reparte de l’avant.
La même étude analyse le niveau actuel de l’action ainsi : « Une combinaison de problèmes suivants semble déprimer le marché :
- Les résiliations de marchands annoncées en octobre 2023
- Les implications potentielles d’une croissance en décélération (c’est-à-dire, la concurrence)
- Les préoccupations concernant la technologie et le montant de la “dette technique” (lié au #2)
- Les bénéfices de faible qualité
- La qualité managériale et de gouvernance faible
Il y a du vrai dans chaque problème, mais lorsque l’on met de côté les récits et que l’on analyse les fondamentaux, on aboutit à la conclusion que WLN n’est pas irréparablement compromis et qu’il n’y a pas de justification raisonnable pour l’évaluation actuelle. »
Conclusion : et moi, salarié, dans tout ça ?
Pour résumer, il est évident que l’année à venir va encore être sous haute tension dans la plupart des équipes chez Worldline. Suite à quoi, de nouvelles transformations (en interne et en externe) devraient intervenir.
A moyen et long terme, les 3500 emplois français (restant post-RC) ne peuvent plus être pris pour acquis, ce qui détonne profondément avec la belle sécurité de l’emploi dont nous avons joui depuis toujours. Individuellement, nous devons donc choisir entre :
- rester et inventer nos trajectoires personnelles au sein d’une structure en changement profond, dont certaines parties sont sans doute vouées à être vendues
- ou bien partir vers d’autres horizons, à court ou moyen terme. Nul ne peut dire si une nouvelle RCC (voire un PSE) est à prévoir, ni quand.
Dans cette période trouble, plus que jamais, ne restons pas seuls. Pour défendre au mieux les droits des salariés face à la direction, nous devons nous regrouper dans les syndicats : l’union fait la force !
Comme toujours, n’hésitez pas à réagir en commentaire ci-dessous !
Bien à vous,
Toute l’équipe CFTC