RCC – comment l’intersyndicale a échoué : les leçons apprises

In Négociations, RCC

Après avoir analysé résultat de la RCC, examinons la méthode employée par les quelque 40 négociateurs syndicaux impliqués. Le but étant de faire de l’amélioration continue.

Les salariés ont-ils été bien défendus ? La CFTC et les syndicats ont-ils bien fait leur boulot ? Tirons le bilan du déroulement de cette négociation majeure.

La CFTC en moteur de l’intersyndicale

Axiome de base : ensemble, on est plus forts. A l’instar de beaucoup de salariés, nous considérions que l’approche intersyndicale était la meilleure formule pour défendre efficacement les intérêts de toutes les catégories de salariés et pour veiller à ce que toutes les sensibilités soient respectées. 

Conformément à nos engagements lors des précédentes élections, la CFTC était dès le départ de cette négociation, fermement déterminée à jouer cette carte intersyndicale jusqu’au bout, et à en constituer comme elle l’a fait ces dernières années, une force fédératrice.

Comme nous l’avons déjà écrit, nous estimons que les enjeux de cette négociation étaient sans commune mesure avec ceux des négociations habituelles et qu’ils dépassaient le cadre de la rupture conventionnelle collective. Il fallait donc construire un rapport de force efficace, sur la base solide de l’obligation de signature des syndicats imposée par la loi.

A l’issue des dernières élections qui n’ont dégagé aucune majorité absolue, aucune OS (Organisation Syndicale) ne pouvait prétendre signer seule un accord de RCC. L’union indéfectible était donc de mise.

Sans se lancer de fleurs, les négociateurs CFTC ont été particulièrement actifs dans cette intersyndicale, comme habituellement : organisation de réunions intersyndicales, synchronisation entre syndicats et envoi de mails collégiaux dans les moments clés, prise de notes sur l’outil intersyndical, etc.

Un début prometteur

En début de négociation, cela a plutôt fonctionné : 15 réunions intersyndicales ont eu lieu de début février à mi-mai. Ainsi, un programme de revendications intersyndicales a pu voir vu le jour mi-avril, bel accomplissement !! 

Les principales revendications :

  • Ouverture de la RCC à tous les salariés (ou sinon revue corrective des Job Roles faisant office de filtre à la RCC) 
  • Budget d’augmentations garanti pour l’ensemble des salariés restant
  • Budget prévisionnel garanti pour la gestion des emplois et des compétences
  • Accompagnement concret à la reconversion en interne
  • Octroi aux candidats à la RCC ayant des dossiers complexes de plus de temps pour les monter (création d’entreprise, reconversion) 
  • Prioriser les dossiers créant de l’emploi et de la valeur pour la société française (création d’entreprises)

Hormis le budget d’augmentation, ces revendications étaient assez peu coûteuses. Ce programme avait donc de bonnes chances d’aboutir.

Autre succès relatif, 3 réunions d’informations intersyndicales ont eu lieu à destination de vous, les salariés.

L’unité se fissure 

Hélas, en parallèle le DRH a réussi à diviser l’intersyndicale, progressivement, pour ainsi mieux régner. Sa méthode ?

(cliquez pour déplier les sections)

1. Forcer la définition de revendications unisyndicales
Le 5 avril, il a ainsi demandé au déboté à chacune des organisations syndicales, tour à tour, de préciser “les mesures phares sans lesquelles elles ne donneraient pas leur signature à l’accord de RCC” (a.k.a. leurs points bloquants). En effet, cette demande d’apparence anodine était le vers dans la pomme intersyndicale. Tous les syndicats, surpris mais souhaitant se montrer constructifs, ont joué le jeu.
Ce faisant, la direction mettait également les différentes organisations en concurrence et conduisait à la balkanisation du front intersyndical. Il n’est d’ailleurs venu à l’esprit d’aucune formation (y compris la nôtre) de retourner l’exercice contre la direction qui n’a pas eu à dévoiler ses mesures phares. Alors que dans cette négociation, les syndicats étaient en position de force, nous avons donc collectivement accepté l’asymétrie caractéristique des négociations traditionnelles et renoncé ainsi au rapport de force que nous entendions mettre en place. 
2. Organiser des réunions unisyndicales en off
Après 3 mois de négociation, la négociation avançait toujours aussi lentement lors des réunions de négociation. Le DRH a joué sur la division en organisant des réunions hors-cadre dites “bilatérales”, c’est à dire avec une OS à la fois. En réalité, il les a surtout sollicitées et eues de manière suivie avec 2 OS sur 4 (sans doutes celles qu’il considérait les plus conciliantes). Si le savoir-faire a été indéniable, notez que le manque de loyauté du procédé ne semblait pas constituer un problème pour la direction. Cela lui a permis de mieux cerner les sensibilités de chacune et surtout d’identifier les “fissures” du front syndical, afin d’y planter un coin et de taper dessus avec un maillet. La logique intersyndicale exposait déjà son ventre mou à la partie adverse. Convaincre ses proies de sauter du train intersyndical en marche, en leur accordant quelques concessions sur certaines de leurs revendications catégorielles était ensuite un jeu d’enfant.
3. Orienter les concessions de la direction vers 2 syndicats

Dès lors dans toutes les organisations, une attention particulière a été portée à certaines mesures au détriment des autres (redirection de l’attention). Et il ne restait plus à la direction qu’à produire des concessions sur les mesures qui, selon ses simulations, étaient les plus financièrement avantageuses ; et les plus en phase avec ses objectifs stratégiques (exemple : conforter sa base managériale en lui envoyant les signaux d’une garantie de très bon traitement dans l’éventualité d’une prochaine “restructuration”). Et bien sûr pendant ce temps, cela donnait aux organisations syndicales ciblées l’impression d’obtenir des concessions importantes.

4. Obtenir l'abandon des revendications intersyndicales de la part de ces 2 syndicats

Et puis malheureusement, mi-mai, on a commencé à apprendre en off qu’un des futurs syndicats signataires se départissait des revendications collégiales, sans l’assumer frontalement. Puis les réunions intersyndicales ont cessé mi-mai, jusqu’à la signature. Une dernière réunion a eu lieu après l’annonce par la CFDT et la CFE-CGC de leur accord de principe pour une signature. Signe de respect pour le travail intersyndical passé et futur, un des syndicats signataires est venu expliquer son choix aux collègues non-signataires et échanger les points de vues, ce que nous avons apprécié. L’autre OS signataire n’a pas pris cette peine, ce que l’on peut déplorer.

En d’autres mots, la direction a concentré ses tirs sur les maillons les plus faibles en donnant aux syndicats un sentiment d’accomplissement qui a vite éclipsé, et la solidarité intersyndicale, et la recherche d’équité de traitement dans les esprits des négociateurs. Il s’agit bien entendu, d’une stratégie classique et éprouvée, conduisant à la fragilisation de coalitions de toutes natures et contre laquelle l’intersyndicale n’a pas su ou voulu se prémunir jusqu’au bout.

Une belle gamelle intersyndicale 

Bien entendu, ce travail de sape s’est effectué hors des canaux officiels de la négociation, en prenant la forme de réunions bilatérales entre chaque syndicat et la direction. La CFTC a du reste tôt fait comprendre à la direction qu’elle n’appréciait guère ces méthodes, et n’avait pas besoin de ces petites croquettes narcissiques, et qu’il n’y avait rien à obtenir de cette façon là. Cela n’a apparemment pas été une attitude commune à l’ensemble des listes. 

Quelles que soient les justifications qui seront employées pour travestir et justifier cette bévue des signataires, ne soyez pas dupes. Fiez-vous aux faits et à votre bon sens. Rappelez-vous que quand ça ressemble à un canard, quand ça nage comme un canard et quand ça cancane comme un canard, c’est qu’il s’agit sans doute d’un canard.

DRH habile ou syndicats naïfs ? 

Au fur et à mesure que la négociation avançait, le gaslighting permanent du DRH a fini par atteindre son but : certains négociateurs ont été totalement perdus. Certains ont cru sur parole les bluffs du DRH lorsqu’il prétendait avoir des mandats pour faire un PSE en cas d’échec de la RCC. D’autres ont cru qu’un accord ne serait jamais possible devant les concessions insignifiantes accordées (parfois jusqu’à 3 jours avant la signature, lorsque les concessions importantes sont enfin tombées). 

Et après la signature, certains syndicats, peut-être persuadés qu’ils avaient réellement obtenu des concessions de la direction, se sont lancés dans un véritable éloge de l’accord qu’ils venaient de signer. Nous leurs avions pourtant partagé les grande lignes de nos analyses prouvant factuellement le contraire

C’était oublier un peu vite que l’accord va avoir des conséquences négatives sur de nombreux salariés (volontaires au départ ou non). Certains sont même allés jusqu’à s’approprier le mérite des quelques concessions obtenues grâce à la pression intersyndicale, sur des mesures revendiquées et défendue par toutes les listes. 

Nous espérons sincèrement que l’opinion des salariés concernant les représentants méritants de toutes les équipes syndicales (y compris la leur) n’en sortira pas ternie.

Leçons à tirer de cet échec 

Il y a deux façons d’entrer dans une intersyndicale. 

La méthode “lourde” est de constituer une coalition totale entre 2 OS ou plus, permettant à la fois de représenter l’ensemble des sensibilités et de joindre ses forces pour peser collectivement plus lourd. 

La deuxième méthode, plus “légère”, est simplement de compter sur le poids de l’intersyndicale pour faire avancer les revendications de sa propre liste. Les listes opérant de cette façon donnent à la direction le choix de satisfaire soit les revendications individuelles de l’organisation syndicale, soit celles de l’intersyndicale, qui cumulées, lui sont nettement moins avantageuses. 

Ainsi, un moyen de pression est mis en œuvre vis-à-vis de la direction, mais qui vient accompagné d’une issue facile : en cas de concession sur des revendications propres à un ou plusieurs syndicats donnés, la direction échappe à l’alternative moins désirable de satisfaire l’ensemble des revendications. Il ne lui reste plus qu’à cibler les syndicats dont les revendications semblent constituer pour elle, un moindre mal. 

La CFTC a donc clairement servi (à son corps défendant) de simple force d’appoint ; sans que les revendications qui lui étaient propres ne soient satisfaites (Garanties pour ceux qui restent, plafonnement plus bas et progressivité plus forte de l’indemnité en fonction de l’ancienneté) . 

Savoir travailler ensemble

Si l’intersyndicalisme reste incontournable pour la CFTC Worldline, nous apprenons encore à le mettre en pratique, à force d’échecs, petits ou grands. A l’avenir, nous n’entrerons dans ce genre d’accord qu’avec un fonctionnement clarifié à l’avance, et un engagement public de l’ensemble des OS participantes à se battre pour l’ensemble des revendications intersyndicales avec la même énergie. La prochaine fois que vous nous verrez dans une intersyndicale lors de négociations, ce sera dans le cadre d’un pacte intersyndical clair écrit et rendu public aux salariés (et à la direction) avant toutes choses. Ce principe permettra aux salariés de juger du respect des engagements pris par l’ensemble des listes.

Nous apprécions vos réactions lorsque vous en avez, dans la zone “commentaires” ci-dessous !

Bien à vous,

Les 11 négociateurs CFTC pour cette RCC

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3 commentsOn RCC – comment l’intersyndicale a échoué : les leçons apprises

  • Ouais, enfin cet article donne beaucoup de raisons mais en oublie peut-être une des plus importantes. L’intérêt personnel des représentants signataires a sans doute pesé dans leur décision de signer.
    Ce sera facilement vérifiable dans les mois qui viennent. Il suffira juste de compter parmi les différents syndicats le nombre de départs volontaires…

    • Merci beaucoup Merlin pour ton commentaire. Nous essayons de ne pas tirer à balles réelles sur nos collègues, ce n’est pas très favorable au travail intersyndical 😉

      Mais effectivement nous avons prévu d’observer très attentivement les négociateurs qui partiront via la RCC. Car, il pourrait y en avoir plus côté OS signataires que non-signataires.

  • Hello, merci pour ces explications claires et détaillées qui en disent long…

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