Gilles, quel est le plan ?

In Actualités sociales, Idées

Lettre ouverte à Gilles Grapinet, PDG de Worldline

Gilles, parle-nous s’il te plaît. Nous avons besoin d’explications. C’est le bazar chez Worldline France : les BUs ont réalisé des pertes en 2022. Depuis début 2023, l’effectif des BUs France a fondu de 5%. Appelons les choses par leur nom : nous vivons un plan social déguisé (voir plus bas).

Comment en est-on arrivés là ? Nous te demandons de communiquer auprès des salariés français pour qu’ils puissent enfin comprendre la stratégie de l’entreprise pour la France, comme les élus te l’ont déjà demandé en avril, et quel est ton plan pour nous sortir de cette ornière… où ta stratégie nous a semble-t-il menés. Nous avons besoin d’explications !

Tu pense quoi Gillles ? Tu (nous) dis rien !

Nous ressentons une forte dissonance. Car Worldline Global a fait 26% de marge brute dans le même temps. Et car tout allait très bien chez Worldline France à ton arrivée à la tête du groupe : nous étions une locomotive du groupe, dont nous réalisions une grande part de la marge.

Aujourd’hui, Worldline dans sa globalité a les moyens de soutenir la France, et devrait le faire. Nous sommes en droit d’attendre un juste renvoi d’ascenseur.

Alerte à la casse sociale

D’abord on a rogné sur nos rémunérations : participation aux bénéfices insignifiante depuis plus de 10 ans, intéressement en baisse (1100€ moyens de 2017 à 2020), augmentations en-dessous de l’inflation, pas de subvention repas pour les jours de télétravail…

Ensuite, on a rogné sur nos conditions de travail : pression sur nos congés (règle des 9j), sur nos formations, sur le TeXforum, sur les déplacements, sur les charges de travail et les délais, sur les embauches… Le bien-être au travail n’est plus qu’un souvenir (notre nouveau label Top Employer ne leurre personne).

Et ça ne suffit toujours pas. Maintenant, on fait des coupes sombres sur les effectifs. Les ruptures conventionnelles avaient fortement augmenté en 2022, elles explosent en 2023. Depuis 2021, une indigne chasse aux sorcières low performers est menée crescendo (certains collègues éconduits sont d’ailleurs désormais en procès avec leur ancien employeur). D’autres salariés, pourtant valeureux, sont quasiment forcés à prendre leur retraite, des consignes sont passées pour interrompre massivement et aveuglément les périodes d’essai ! Il semble n’y avoir aucune limite.

Un emploi supprimé tous les jours

Les équipes étaient déjà juniorisées, sous-staffées, les talents fuyaient. Maintenant des consignes de réduction massive de l’effectif France sont passées. De nombreuses équipes auraient besoin de 3 ou 4 personnes en plus et tournent en mode (très) dégradé. Il est impossible, dans ces conditions, de produire et livrer en temps, en heure, et en qualité. Bien des clients sont déjà mécontents ; on craint de les perdre bientôt.

C’est la France qu’on abîme

Gilles, tu sembles vouloir « quoi qu’il en coûte » atteindre tes objectifs de marge en charcutant la masse salariale (sans nous le dire). Mais les objectifs financiers à court-terme ne justifient pas tout !

Au-delà des dégâts à court terme, c’est l’avenir de notre Worldline France que tu hypothèques pour 10 ou 20 ans. Le capital social est saccagé (voir à ce sujet notre série d’articles « Worldline, géant Agile ou d’Argile ? » ).

Gilles, c’est notre pays, ton pays, nos emplois que ta politique abîme, délocalise ou supprime. Pourtant, toi qui as fait l’ENA (école de hauts fonctionnaires ayant vocation à servir la France) et qui es passé par les ministères, tu devrais à double titre te mettre au service de notre nation.

Gilles, quelle est ta stratégie pour faire marger Worldline France ?

Le modèle historique de Worldline (implication des salariés contre bonnes conditions de travail, être un partenaire long-terme des clients) est largement abandonné. Le Build-to-Run, avec ses grasses marges assurées par le Run, est de plus en plus dépassé (concurrence accrue, Cloud…). Et on ne comprend pas quel est le nouveau modèle. Une grande partie des salariés français est en train de payer les pots cassés de 10 ans d’inertie.

Sur le plan de la rentabilité (celui qui intéresse tes patrons à toi, les actionnaires), la France générait une grande part de la marge à ton arrivée il y a 10 ans. La situation s’est inversée ces 7 dernières années avec la perte des gros contrats rentables dans les 3 BUs (Radar, ISIS, Carrefour, Orange, LCL/BNPP). En revanche, nous avons engrangé quelques projets de taille XXL (DAF, SAMU, NSBF…) qui génèrent peu de marges… et parfois de lourdes pertes.

Pour compenser, n’aurait-on pas pu conserver quelques années dans notre périmètre l’entité TSS, qui générait l’intégralité des (grasses) marges d’Ingenico France ? C’était d’ailleurs l’intention affichée au moment du rachat. A la place, nous avons revendu TSS bien moins cher qu’acheté, ce qui laisse le groupe nettement plus endetté que ce qu’on aurait pu espérer.

L’ancien modèle n’est plus, et le nouveau est illisible

Le nouveau modèle “produit” est censé apporter des marges grâce aux économies d’échelle. Mais pour Worldline France, il tarde à être un relai de croissance de la marge. La JV avec le Crédit Agricole ne génèrera pas de bénéfices substantiels avant plusieurs années.

En réalité, notre marché français ne semble pas (encore) adapté à ce modèle de spécialisation en paiement (« What are we ? We are a FinTech Paytech ! »). Alors pourquoi l’applique-t-on aveuglément ?

On a l’impression que les transitions d’un modèle à l’autre ne sont pas pensées : on fixe un horizon à atteindre, sans tracer de chemin pour y aller. Mais montrer la cible et simplement demander aux employés de se fondre dans le nouveau moule, laisse trop de problèmes impensés ; on le constate un peu partout : cela rend le chemin plus long et plus difficile.

D’aucuns vont jusqu’à penser que les modèles sur lesquels est basée notre gouvernance sont pensés depuis une tour d’ivoire (et à l’aide de consultants externes à l’entreprise comme Boston Consulting Group), et ensuite appliqués à des réalités qui se dérobent aux attentes et aux présuppositions de leurs géniteurs.

Le poids de l’histoire

L’intégration avec les entreprises rachetées est lente, les conflits d’intérêts ne sont pas réglés (Axis et SIPS ?). Les économies d’échelle attendues ne semblent pas arriver, nous avons souvent plusieurs produits internes pour répondre à un seul besoin. La convergence des cultures ne se fait guère. L’intégration est lente, le silotage est encore bien réel. Cette somme d’optimums locaux ne produit évidemment pas un optimum global.

Côté Move2Cloud, idem : les guéguerres internes et autres résistances au changement ralentissent depuis longtemps la mutation technologique. Sans parler du manque d’investissement initial dans les infrastructures et les moyens transverses nécessaires à la containerisation. Côté Agilité, on en fait peu car « on n’arrive pas à marger » avec cette méthode. Le DevOps dont on parle depuis plus de 5 ans commence seulement à se répandre.

Investir sur la compétence et la modernisation

La course au gigantisme, axée sur la croissance externe et le rachat d’entreprises de paiement « legacy », a fait de nous un paquebot plutôt qu’une flotte agile. Lorsque l’action plonge et que nous devons rassurer les actionnaires, nous jetons du mobilier par-dessus bord, et débarquons des membres de l’équipage, faute de pouvoir manœuvrer. Sommes-nous à la merci d’un iceberg ?

Gilles, tu travailles certes à rendre l’entreprise plus agile, moins monolithique. Mais cela a-t-il du sens si l’on ne mise pas conjointement sur les compétences, le capital humain ? Ne devrions-nous pas également moderniser nos produits et les rendre évolutifs ? En tout cas, nos concurrents plus jeunes investissent dans le développement de produits et ou de plateformes de paiements modulables (cf Embedded Banking, Bank as a Service, Beyond Banking…), prêtes à suivre rapidement les évolutions futures en matière de paiement. Que mets-tu en place pour éviter que nous nous fassions « disrupter », comme les taxis et les entreprises de géolocalisation se sont fait chahuter par Uber et Waze ?

Nous avons (largement) les moyens de nous redresser

Les experts économiques du CSE nous le disent tous les ans : la santé financière du groupe est excellente. Nous ne sommes pas en train de lutter pour notre survie, nous avons au contraire les moyens d’investir pour notre avenir ; il est temps de nous dessiner les plans du Worldline du futur, adapté à l’informatique et aux paiements de 2023.

Gilles, il est temps d’investir sur la vraie richesse qui a fait Worldline : le capital humain, les compétences, une organisation fluide, la modernisation technique. C’est cette richesse qui nous permettra de nous adapter à toutes les disruptions à venir, aux inévitables aléas économiques.

S’il te plaît, dessine-moi un avenir !

Dis-nous à quel horizon l’offshorization, les suppressions de postes et les coupes budgétaires vont ralentir ou s’arrêter pour tous les français. Partage-nous les objectifs chiffrés. Partage-nous la vision. Le CSE France te l’a déjà demandé en avril ; tu t’étais d’ailleurs déclaré sensible à cette requête.

Ce n’est pas le choix des salariés d’avoir introduit Worldline en bourse. Ce n’est pas le choix des salariés d’avoir annoncé des objectifs financiers hyper-ambitieux. Ce n’est pas le choix des salariés d’avoir basculé vers le court-termisme, vers un modèle de croissance externe accélérée.

Gilles, les méthodes de ton mentor Thierry Breton sur le groupe Atos n’ont pas fait leurs preuves. Il a quitté un navire qui filait droit vers la perdition, et il le savait. Depuis, l’action Atos est tombée sous les 10 euros et une restructuration de crise a eu lieu. Assure-nous que tu n’appliqueras pas les mêmes méthodes de gestion.

Gilles, Worldline était « la pépite du groupe Atos » lorsque tu l’as prise en main ; assure-nous que tu ne la transformeras pas en plomb pour nous, et en golden parachute pour toi.

On espère que ça ne finira pas comme ça…

N’hésitez pas à réagir en commentaire ci-dessous (même toi, Gilles !)

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8 commentsOn Gilles, quel est le plan ?

  • Bonjour,
    TSS ne fesait pas la marge d’Ingenico… Cette entité qui a fait l’histoire d’Ingenico était à l’équilibre. Par contre à mon sens il fallait la conserver rien que pour les oportunité sur le marché. Mais il fallait gérer la decroissance de cette entité

  • Pour mieux comprendre, et se soulager:
    https://youtu.be/t-pCqfpHCgw?t=337

  • Alors quoi dire. Les départs les uns après les autres. Chez MS l’organisation est toujours en cours de décision. C’était début Octobre, maintenant on parle fin du mois … Avec vacances scolaires c’est vite vue ensuite Noël… cela ressemble fort à un bateu qui est en train de couler. Attendons les résultats du Q3 et cela ne sera pas joli!

  • Merci Rat et Beber pour vos commentaires !

    @Beber : nous avons vérifié avec des collègues ex-Ingenico d’Apollo, TSS faisait bien la quasi intégralité de la marge “et a servi à financer toutes les errances de différents dirigeants et leurs confortables rémunérations”. Cette marge était même partiellement transférée dans d’autres entités dont Ingenico voulait embellir les résultats.

    Tu parlais peut-être de l’équilibre du budget de TSS. Oui la croissance était faible et le budget à l’équilibre. Mais en dégageant une marge énorme !

    @Rat : oui les réorganisations traînent souvent en longueur chez Worldline, souvent à cause de guéguerres internes entre grands chefs, probablement invisibilisées pour mr Grapinet. Cela ralentit fortement l’intégration des sociétés acquises et l’avénement des économies d’échelles escomptées.

  • Gilles n’a aucune stratégie, mais par contre le cabinet de conseil que WL rémunère grassement, lui il en a une. Et une seule, la même pour tous ses clients.
    Quand les polytechniciens et les centraliens géraient les grandes entreprises françaises, cela marchait quand même bien mieux !

  • Relire tout ça aujourd’hui fait vraiment froid dans la dos. Quel gâchis. Que s’est il passé dans la tête de Grapinet depuis le début de l’année ?

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