Worldline, Géant Agile ou d’Argile ? Partie 5

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Dans cet article, nous examinons le concept de haut potentiel.

Vous lisez le cinquième article de notre série « Worldline, Géant Agile ou d’Argile ». Retrouvez tous les articles ici.

Repenser la notion de “haut potentiel” : pour une approche plus inclusive et équitable en entreprise

L’envers de médaille de la notion sibylline de “haute performance” est une réalité dont la perception est en grande partie brouillée par les discours institutionnels analgésiants. Elle est faite de divisions, d’injustices et de favoritismes. 
Ce concept de “haute performance” chemine main dans la main avec son frère siamois nommé “haut potentiel” ; les deux compères se justifient l’un l’autre, et dans une fureur circulaire, deviennent juges et partis réciproques.

Comme nous l’avions écrit, dans un autre article, le système managérial se perpétue en se photocopiant en permanence. Ainsi, en prétendant inclure, il exclut tout ce qui n’est pas lui et en prétendant éclairer, il s’aveugle en soustrayant à sa propre lumière, tout ce que ce que sa pensée idéologisante lui interdit de distinguer. Il en résulte une consanguinité intellectuelle oblitérante de tout espoir de pensée nouvelle.

Cette cécité, à tout ce qui n’est pas lui-même, le conduit à abhorrer la différence de façon pulsionnelle tout en la désirant intellectuellement, entretenant une ambiguïté insoutenable entre sa conscience de la nécessité d’échapper à lui-même et son incapacité à en accepter les conséquences.

Les programmes de “haut potentiel” privilégient ceux qui correspondent aux stéréotypes traditionnels du leadership. Ils perpétuent de la sorte, les biais existants et invisibilisent les autres formes de talents de l’entreprise qui terminent étouffés, bâillonnés par une mécanique qui échappe aussi bien à la conscience qu’à la vigilance de ses perpétrateurs.
Comme le suggère le processus d’attachements préférentiels qu’il faut invoquer en présence d’une distribution Parétienne, performance rime avec influence. Malheureusement, pour exercer son influence, il faut être audible ; caractéristique dont sont privés ce dont la parole est bâillonnée.

La persistance de ce concept de “haut potentiel” qui ne correspond à aucune réalité tangible, ne laisse pas d’étonner. A moins évidemment que l’on ne s’attache à en clarifier sa fonction. Il ne s’agit bien entendu pas de nier l’existence d’individus plus qualifiés, plus engagés ou plus performants que la moyenne dans l’entreprise, mais de questionner la mystique entretenue autour de ceux estampillés “haut potentiel”.

Comme nous l’avons vu, ce schéma d’autoreproduction est essentiel à la perpétuation et à la justification du système qui place ceux qui concentrent le plus de pouvoir en haut d’une chaine alimentaire fantasmée. Ainsi, nul, n’est besoin d’évoquer la moindre intentionnalité dans la persistance de ce modèle puisque d’un point de vue systémique, il s’agit d’une émergence d’un système (de pouvoir), produit de l’interdépendance de ses agents et dont la fonction est comme pour tout système, la stabilité et la perpétuation.

La crédibilité du système ne tient qu’au bric-à-brac de concepts et méthodes pseudo-scientifiques utilisés (notation et distribution Gaussiennes de la performance, représentations découlant d’une abondante littérature psychologisante, colportant tous les clichés à la mode du moment, produite par des organisations commerciales dont le gagne-pain est de vendre des prestations). Rappelez-vous que jusque dans les années 80, l’astrologie et la graphologie étaient utilisées comme outils de recrutement.

“Lorsque tout le monde pense la même chose, c’est que personne ne pense beaucoup” Walter Lippman

L’identité à soi-même en vient donc pour la sphére managériale, à définir la notion même de haut potentiel. Ce qui, dans un monde où le rythme des changements disruptifs est devenu frénétique, ne manquera pas de poser problème(1).


Dès lors la pensée devient craintive, effrayée de sortir des chemins balisés par les doctrines dominantes du moment qui émanent le plus souvent d’autres sociétés que l’on prend pour modèle parce que bien plus créatives et talentueuses.
Ainsi est fait le lit d’une pensée de meute, stagnante, conformiste et sans originalité ; lit en dehors duquel on se hasarde au risque de perte de statut et d’exclusion symbolique.

Pire encore, la tentation est grande dans cette atmosphère raréfiée, d’appliquer les recettes du passé dont le succès d’antan justifie les positions de pouvoir actuelles. Et malheureusement comme nous l’avons tellement vu, le seuil d’incompétence(2) s’en trouve ainsi franchi, longtemps avant que les dégâts causés à l’entreprise soient manifestes.

La raison en est que le contexte évolue bien trop vite et bien au-delà du domaine de validité des pratiques qui ont jadis fait leurs preuves.

Nous sommes d’avis que ce principe dit “de Peter” n’est pas une fatalité. Ce qui le rend inéluctable c’est une mentalité particulière qu’une psychologue nommée Carol Dweck a formalisée sous le nom de “Fixed Mindset” ou théorie de l’intelligence “fixe”.

Ainsi pour résumer ses travaux, imaginons une sorte de continuum sur lequel les gens se situeraient selon la croyance qu’ils entretiennent quant à l’origine de leurs capacités. Le travail et la pratique délibérée seraient pour les uns l’origine de leurs talents, tandis que pour les autres, leurs capacités seraient avant tout dues à des prédispositions naturelles, innées et immuables à l’image de leur taille ou de leur couleur de cheveux. Nous avons déjà vu que la notion de prédisposition n’est pas validée scientifiquement et que les dispositions naturelles des individus quand il en va de la notion de talent en entreprise, jouent un rôle peu significatif. Les tenants de la théorie développementale (Growth Mindset) ont donc en grande partie raison (3).

Il reste à mentionner que la mentalité (fixed ou growth) pour un individu donné n’est pas générale à l’ensemble de ses compétences, puisqu’il peut opérer en mode fixe pour certaines de ses capacités comme par exemple, ses prouesses intellectuelles et en mode développement pour d’autres, comme sa pratique d’un instrument de musique ou d’un sport.
Plus important encore, le milieu (professionnel, scolaire, familial) peut déterminer à 100% la façon dont un individu percevra ses capacités. Ainsi si un individu obtient ses lauriers du fait d’une réussite passée attribuée à son exceptionnelle brillance, il aura tendance à adopter une posture défensive par rapport à tout ce qui pourrait questionner son statut. Il sera reconnaissable par exemple à certaines postures défensives, ou encore à sa réticence à s’engager dans un débat, voire, à son incapacité à concéder un tort.

Fixed Mindset en entreprise
Les individus ne sont pas nécessairement conscients de l’état d’esprit qui régit leur rapport à l’apprentissage. Néanmoins leur comportement tend à le rendre évident, particulièrement face à l’échec. L’échec, pour les individus en mode fixe ou statique (fixed mindset) est assez redoutable, en ce sens qu’il infirme leur intelligence ou leur talent supposé. Si l’environnement professionnel manifeste la même mentalité, l’individu en situation assimilable à un échec, encourt le risque de perte de statut.

Ainsi, une étiquette flatteuse apposée sur un salarié peut s’avérer très lourde à porter. L’effort à consentir pour la garder peut s’assimiler à l’occupation d’une deuxième activité professionnelle parallèle. Il s’agit de masquer les faiblesses et apparaitre sous le meilleur jour possible. C’est de ce fait, la part du lion de son énergie disponible qui est consacrée à gérer son image, dans l’espoir de la contrôler au mieux aux yeux des autres salariés influents.
Imaginez le surcroit de travail pour les “hauts potentiels” pour qui la barre est placée à une hauteur stratosphérique. Travail à temps plein garanti.

La dimension tragicomique de ce théâtre d’ombres, apprend à beaucoup à éviter de faire état d’opinions divergentes, pourtant essentielles, mais hélas susceptibles d’être perçues comme une remise en cause de la brillance ou de l’expertise. Souvent en entreprise, conseil est donné par les anciens aux nouveaux, de ne pas faire état d’avis alternatifs quitte à laisser un échec éventuel se produire. Et le cas échéant, il faudra réfléchir à deux fois avant de se hasarder à proposer une autre perspective.

Tous ces travers trahissent la présence d’un principe de Fixed Mindset s’immisçant aux commandes des comportements des uns et des autres. Il est du reste frappant lors de réunions dans certaines entreprises, de constater à quel point le poids des opinions dépend du statut de leur émetteur.
Il n’existe probablement guère de plus grandes sources de gaspillage que cette frénésie du paraître qui ruisselle et s’infiltre dans tous les recoins d’une entreprise. Un manager affichant une façade d’infaillibilité soit parce que son statut l’y oblige soit parce que sa position en dépend, n’est plus en posture d’apprendre et d’évoluer parce que pour ce faire, il doit reconnaitre son ignorance du sujet entrepris ou une lacune nécessitant évolution. Il ne souffre du reste pas plus la contradiction et récompense les individus qui, même s’ils n’en croient pas un mot, se rallient avec le plus ostensible enthousiasme à sa proposition du moment.

“Ce qui nous empêche de changer, ce ne sont pas seulement nos doutes mais bien plus souvent nos certitudes …”️Sénèque

Les managers atteints de cette disposition d’esprit en font hériter, probablement à leur corps défendant, leurs collaborateurs dont les failles et les faiblesses en viennent à relever du domaine de l’inavouable, et ainsi de suite en cascade jusqu’à tous les recoins de l’entreprise.

De cette façon, la pression d’enjeu accumulée pousse les personnes occupant des postes clés à se cramponner aux solutions qui ont fait leurs preuves et assuré leur succès, plutôt que de se hasarder à la confrontation d’idées. Et entrent ainsi à nouveau en action les processus de pensée automatique déjà abordés, terreau de nombreux biais cognitifs et promoteurs d’illusoires sentiments de sécurité. Le résultat c’est qu’on s’agrippe aux certitudes en niant les difficultés. Et c’est ainsi qu’on reste otage du passé et incapable d’affronter l’inconnu avec l’esprit clair.

Plus inquiétant encore, il n’est pas rare, dans la perspective de l’échec inévitable d’objectifs spécieux ou de méthodes éventées, que les justifications, et parfois même les lampistes à blâmer, soient déjà prêts à l’emploi par anticipation. 

Ainsi se perpétue le cycle de la “mal-compétence” au sein d’une entreprise (très bien décrite du reste dans un autre contexte par l’historien Marc Bloch dans son livre “l’étrange défaite”). Sans vraiment le réaliser, la préférence est donnée à un mode de pensée consistant à assimiler la nature des nouveaux problèmes rencontrés à celle des anciens problèmes résolus parce que les modèles cognitifs et les solutions sont déjà disponibles (“comme j’ai un marteau et que j’ai su m’en servir avec succès, tous mes problèmes devront être des clous !”(4)).

Parmi ceux qui échappent à ce cycle, sont les personnes dont le statut est, pour toutes sortes de raisons, sans grandes conséquences.

Et le coût pour une entreprise est assez exorbitant. D’une part, parce que ni l’organisation dans son ensemble, ni ses salariés ne parviennent à réaliser leur plein potentiel, mais aussi et surtout parce qu’il est difficile de prévenir les erreurs collectives et que c’est la réalité qui finit par se rappeler au bon souvenir de tous.

Growth Mindset en entreprise

Les individus opérant en mode ou état d’esprit de développement, épousent et incarnent l’idée que leur performance et leurs talents peuvent toujours évoluer grâce à l’apprentissage.

Bien entendu c’est à l’entreprise qu’il incombe de mettre en œuvre la culture propice à l’émergence d’attitudes de cet ordre. Comme nous l’avons écrit, beaucoup d’initiatives et d’opportunités d’apprentissage existent au sein de beaucoup d’entreprises. Ainsi, on peut estimer que certaines caractéristiques d’une organisation opérant en Growth Mindset y sont déjà présentes. Mais s’orienter délibérément vers un mode développemental relève pour une entreprise d’un tout autre registre. Se doter des pratiques sans comprendre en profondeur la transformation nécessaire et sans adopter la culture adéquate, relève de la démarche cultiste que nous avons déjà abordé.

Le lien commence, nous l’espérons, à être clair entre, la vision mécaniciste de l’entreprise, la mystique Gaussienne et la prééminence d’un modèle statique (fixed) du talent et de la performance. Afin de sortir une entreprise d’une culture du “Fixed Mindset”, il ne suffit donc pas de le décréter.
 
La démarche consistant à apposer un verni intellectuel sur des structures traditionnelles ne pouvant conduire qu’à un changement de surface, il faut oser retourner à la source et forcer une remise en question des fondements conceptuels du paradigme en vigueur.
 

La pensée linéaire dans une entreprise se construit en partant de composants fixes et indépendants, érigés en tant qu’objets centraux de sa connaissance. Elle s’interdit la réelle connaissance et reconnaissance des propriétés émergentes propres au monde des systèmes complexes qui découlent de la connectivité (interactions et interdépendances) des objets et des systèmes en présence.

Il n’est pas difficile de déduire le mode de pensée dominant à l’œuvre en observant les artefacts utilisés. Le concept de “haut potentiel”, l’utilisation de systèmes de gradation Gaussienne de la performance (note de 0 à 5), l’utilisation de principes de gratification issus du monde du productivisme (quantitatif) pour prétendre encourager la créativité, l’innovation, la coopération, l’autonomie (caractéristiques relevant du qualitatif) parmi tant d’autres, trahissent bien un mode de pensée linéaire à l’œuvre. Et la vision que cette pensée impose, conduit nécessairement aux croyances auto-limitantes et auto-paralysantes dont le Fixed Mindset de Carol Dweck est une des conséquences.

Les modèles linéaires constituent de mauvaises représentations des réalités sociales de l’entreprise, et cependant les outils qui en sont issus continuent de présider au fonctionnement de beaucoup d’entreprises et d’en façonner les modèles intellectuels.

Les entreprises du digital font probablement face aux plus gros défis qu’elles aient rencontrés depuis très longtemps, et l’ampleur des transformations qu’elles ont à opérer afin de se hisser à la hauteur des enjeux, n’échape à personne. Il est donc urgent pour elles de produire les conditions de remise en mouvement des dynamiques fondamentales relevant de la sphère sociale de leurs différents domaines de réalité. Il s’agit donc de réinvestir délibérément le Capital Social (voir première partie), siège principal de la magie de la transformation.

Dans la partie suivante nous explorerons la notion d’écosystème d’entreprises et le changement nécessaire de paradigme.
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  1. Une société qui ne s’appuie que sur des personnes partageant des contextes très similaires (façons de penser, formations, cursus professionnels, perspectives) n’a que très peu de façons d’anticiper et/ou de réagir aux évènements imprévus et aux menaces sur son avenir. Alors qu’une accélération étourdissante des innovations technologiques fait rage et que l’irruption de modèles d’affaire de rupture “uberisateurs” bouleversent et déconstruisent des secteurs entiers, la diversité de pensée est devenue une caractéristique cruciale pour la survie de l’entreprise
  2. Le principe de Peter (appelé parfois « syndrome de la promotion Focus») est une loi empirique (issue de faits expérimentaux, ou validée par l’expérience) relative aux organisations hiérarchiques proposée en 1969 par Laurence J. Peter et Raymond Hull dans leur ouvrage The Peter Principle. Selon ce principe, « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », avec pour corollaire que « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité ».
  3. Afin d’évacuer les polémiques stériles, notons bien, que la notion d’intelligence telle que mesurée par les tests de QI est bien réelle. Le niveau de QI serait selon le consensus scientifique du moment, plutôt prédéterminé génétiquement. Mais il tombe sous le sens qu’un sujet privé d’éducation et d’apprentissages obtiendrait des résultats calamiteux à un test de QI quels que soient ses gênes.
    Cela est vrai aussi pour les dimensions de la personnalité pour lesquelles le développement joue un rôle encore plus déterminant. Gardons aussi à l’esprit afin de s’économiser le vain débat inné/acquis, que la population dans les entreprises du digital du fait même de leur activité, est capable de manier des abstractions complexes ce qui démontre une intelligence largement suffisante pour l’acquisition de la plupart des talents. Ce qui fera la différence, ce sont bien sûr les traits de personnalité de chaque individu qui impriment des différences de goûts, l’éducation et les valeurs du milieu d’origine, mais surtout la culture implicite de l’entreprise.
  4. Librement inspiré de la formule courament attribuée à Abraham Maslow, père de la fameuse “Hiérarchie des besoins”: Pour celui qui ne possède qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous” Autrement connue comme la loi de l’instrument, décrivant la tendance des gens à privilégier l’utilisation d’outils qu’ils maitrisent, que ces derniers conviennent ou pas au problème à résoudre.

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