Le CSE a eu une première présentation de la réorganisation Production Services à venir. Sans divulguer les détails qui seront présentés à tous d’ici 2 mois (et que la direction devra affiner), voici quelques grandes lignes et nos premières réactions, encore assez brutes. Si vous êtes concernés, nous aimerions avoir votre avis en retour (par mail ou par commentaire sur cet article).
Un changement de stratégie… en réaction, plutôt qu’en anticipation
Les clients n’acceptent plus qu’on mette 8 ou 9 mois à déployer nos produits. En réponse, le programme Move2Cloud a été lancé depuis 2 ans. Il avait été présenté au CSE avec une certaine opacité, quant aux bénéfices obtenus. Désormais c’est de plus en plus “Move to Public Cloud”, même si nos Clouds internes (GI) restent et resteront très utilisés.
Cette réorganisation pousse la logique plus loin : accélérer le Move2Cloud, pousser, sans que l’on ne sache bien comment, les équipes/départements/pôles en mode opératoire DevOps, intégrer des Ops dans des équipes de Dev.
Vers le Cloud, le DevOps, et l’au-delà
La vision DevOps présentée par la direction nous a semblé assez théorique : “rapprocher les dev des ops pour travailler et livrer ensemble, conjointement sur la solution, comme chez Ingenico”. “Autonomie”, “discipline”, “équipes plus intégrées”.
Une mesure concrète et majeure vient l’implémenter : l’intégration des Delivery Centers existants dans certaines eGBLs. Des ingénieurs système de PS vont être intégrés dans des équipes. Selon nos têtes pensantes, le nouveau métier de SysOps qu’ils exerceront est “le même” que celui d’ingé Système. Simplement, il sera exercé en intime collaboration avec les développeurs.
Ils affirment que cela permettra de “remettre l’humain au centre”.
La migration vers le Cloud de plusieurs projets importants (ceux qui font beaucoup de flux) a aussi été annoncée, et pour certains, amorcée il y a deux ans avec un bilan qu’il reste à établir. Mais une majorité de services déjà déployés restera sur les instances actuelles.
Le passage au Cloud permettra aux équipes DevOps de regagner en autonomie, de faire “moins de tickets”. La direction PS a reconnu que nous avons actuellement des processus internes trop lourds, où pour brancher un câble Ethernet, on crée des tickets à 2 personnes qui en recréent elles-mêmes à d’autres.
Elle devrait s’accompagner de plus de liberté dans les choix techniques.
Une réorganisation nécessaire
Côté CFTC, si nous soutenons le principe d’une telle réorganisation, qui relève d’une modernisation de nos pratiques en les adaptant aux contraintes d’un monde de plus en plus digitalisé dans lequel la disruption devient la règle, et qui exige plus d’efficacité et de proximité entre les personnes travaillant autour d’un même projet, plusieurs questions se posent.
Les questions : est-ce si facile ?
Cette présentation s’est voulue volontariste et optimiste, mais sans rentrer dans les aspects “mise en œuvre”. Or le diable se cache dans les détails. Il ne suffit pas d’agiter les termes DevOps, Cloud et Digital transformation telles des incantations pour que les choses arrivent comme par magie. Il va y avoir du cambouis sur les mains et des grincements de dents !
Des expériences pas si faciles
Dans l’histoire récente, le Move2Cloud ne s’est pas fait sans difficultés pour les projets déjà concernés. Il est toujours plus facile pour les projets “green field” d’aller directement dans le Cloud que pour les “brown field” d’y migrer. Exemples :
- Les projets qui étaient déjà en architectures microservices, devaient être revus pour le Cloud
- Les déploiements d’architectures legacy dans le Cloud devaient durer quelques semaines ou mois, mais au bout d’un an on ne voit pas encore la fin
Quel management pour les SysOps ?
Les SysOps intégrés aux équipes BUs seront-ils bien managés ? S’ils sont managés par les managers de BUs, ceux-ci n’auront pas toujours les compétences pour en évaluer le travail (nous avons connu de tels cas par le passé). S’ils restent sous des managers de PS, ceux-ci n’auront pas une bonne visibilité sur le travail de leurs équipiers, pas plus d’ailleurs que sur la façon dont les équipes de développement adaptent leurs pratiques pour faire fonctionner le modèle. Une mauvaise prise en compte de ce sujet, dont l’importance ne peut être assez soulignée, serait lourde de conséquences.
Les bonnes personnes à la manoeuvre ?
Ce changement que nous n’avons pas réussi à conduire en avance de phase du marché, devient une question de survie et doit maintenant être mené à marche forcée. Les investissements et les tentatives par beaucoup, de faire évoluer notre culture depuis 10 ans (microservices, Docker, Cloud) se sont fait souvent tard et n’ont malheureusement pas été, par les gens qui en avaient pourtant le pouvoir, préservées des résistances et des statismes classiques que toutes les entreprises rencontrent.
Les manageurs exécutifs qui, il y a à peine quelques mois, appelaient de tous leurs vœux des modèles de fonctionnement centralisés et bureaucratiques, faits de contrôles et d’innombrables points de validation, se proposent, en nouveaux convertis, de combattre leurs anciens démons. Seront-ils crédibles en tant que force motrice de la mise en œuvre de cette transformation cruciale pour l’entreprise, alors qu’ils ont mis tant de temps à s’éveiller à ses vertus ?
Pas de plan de transformation
L’organisation cible a été présentée, mais cette présentation ne contient pas les modalités de la transition.
Les formations purement techniques (pour apprendre le Cloud) sont certes au plan de formation. Mais comment la transition vers une culture propice au fonctionnement DevOps, va-t-elle être conduite ? Comment les progrès accomplis dans le cadre de cette mutation seront-ils mesurés et reconnus ?
Les salariés livrés à eux-mêmes ?
Les expériences du Move2Cloud, où les salariés se sont sentis livrés à eux-mêmes, lancés directement dans le grand bain inquiètent le CSE.
La difficulté pour certains à s’adapter à des changements techniques et organisationnels drastiques, peut conduire à une recrudescence du mal-être et des burnouts, et parfois pour les plus vulnérables, à des drames. La plus grande attention doit être prodiguée à la conduite de ce changement indispensable, mais aussi difficile. La CFTC, ainsi que tous les représentants seront de leur côté, très attentifs à la qualité de l’accompagnement aussi bien en terme de moyens qu’en terme de résultats.
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La direction essaye d’esquiver la consultation du CSE
La Direction a imaginé cette réorganisation en jugeant inutile et couteux de consulter les représentants du personnel. Simplement “informer” étant tellement plus expéditifs et moins couteux en terme d’efforts. Compte tenu de l’ampleur de ce changement, impactant à la fois l’organisation, les relations entre collègues, les méthodes de travail et les attentes accrues en matière de productivité et de qualité, le CSE est fondé d’éxiger et la loi l’y autorise, une information-consultation. Ainsi, la direction aurait dû spontanément consulter le CSE afin de prendre en compte ses retours. Elle a fini par concéder du bout des lèvres la requalification en information-consultation ainsi que l’accompagnement par un cabinet d’expertise externe. La CFTC tient néanmoins à rappeler à quel point la Direction jurait pas ses grands dieux qu’elle ne rêvait que d’un dialogue social apaisé et constructif. Nous en avons ici, une illustration supplémentaire.
Tous les postes seront-ils conservés ?
Des collègues PS ayant vécu le même type de réorganisations dans d’autres entreprises nous ont exprimé leur grande inquiétude sur ce plan. Des démissions, des plans de départs sont souvent à la clé. Les BUs intègreront-elles vraiment toutes les personnes de PS concernées dans les équipes ? Elles payaient PS pour les services rendus, ne vont-elles pas en profiter pour tenter de rogner sur ce “coût” ?
DevOps et juniorisation ?
Pour avoir de l’autonomie, de la discipline, la culture adéquate, les salariés doivent avoir de l’expérience. Cela nous semble difficilement compatible avec la politique de juniorisation en place depuis 10 ans et assumée par la direction, qui génère une fuite des expérimentés et des experts (voir nos interviews “paroles de salariés démissionnaires” ). On parle de reproduire le modèle Ingenico, or ils ne pratiquaient pas la juniorisation.
La perpétuation d’un Worldline à 2 vitesses ?
Depuis l’avènement de Docker, du Cloud interne, on constatait déjà un schisme entre le monde des projets migrant lentement vers les nouvelles technos, et celui des projets qui suivaient le rythme des avancées technologiques.
Avec le choix de considérer les projets “faisant moins de flux” comme non prioritaires pour le Move2Cloud, ce phénomène devrait persister et s’enkyster, précipitant au passage une partie du personnel dans le cercle vicieux de la déqualification.
Qui paiera les migrations ?
Enfin, concernant les projets embarqués dans l’accélération du Move2Cloud, la question du financement n’a pas été abordée.
Conclusion
Des salariés PS nous indiquaient souhaiter que cette réorganisation soit très cadrée. Pour l’instant, on en est loin, et la probabilité d’une recrudescence importante des risques psycho-sociaux n’est hélas pas du domaine de la fiction. La direction doit affiner sa copie. Nous allons continuer le suivi de cette réorganisation en CSE pendant encore 2 mois, puis ensuite surveiller la qualité de sa mise en œuvre.
L’enjeu ici est de mitiger les effets d’une approche par trop empirique faisant peser la responsabilité de la transformation uniquement sur la capacité des salariés à absorber le poids des défis à la fois en terme de transformation personnelle qu’en terme de formation. Nous ne voulons pas d’une direction se contentant de fournir les moyens technologiques et éventuellement du support psychologique aux salariés qui plient l’échine.
La responsabilité sur les risques psycho-sociaux liés à cette transformation, commence par la prévention et par l’accompagnement au changement. Il incombe à la direction quand elle met en place l’organisation qu’elle estime adéquate, de fournir un cadre cohérent et clair afin que les salariés ne soient pas livrés aux démons des exigences impossibles et des conflits systémiques. Quand cette dernière assume par exemple, “qu’il y aura une surcharge de travail temporaire” pour certains salariés, il faut comprendre que la surcharge sera à la fois cognitive et émotionnelle et quelle ne se traduira pas seulement par des temps de travail trop longs. Pour beaucoup des sacrifices seront à faire.
Nous vous invitons à ce titre à relire notre communication de 2020 sur les burn-outs : pour la direction, bien souvent, “il n’y a pas de mauvaise organisation”. “Si [un salarié] en vient à se brûler les ailes, c’est simplement qu’il n’était pas à sa place.”
N’hésitez pas à partager vos points de vue, en commentaire sous l’article ou en nous écrivant par mail dès maintenant si vous pensez que vos perspectives peuvent aider vos élus à appréhender le sujet sous des angles complémentaires, ou alors quand la réorganisation vous aura été présentée par la direction ou même quand vous en sentirez les effets.
One commentOn Réorganisation PS : le diable se cache dans les détails
Que sera le modèle de Delivery ?
Quel sera le modèle d’architecture ?
Ce n’est pas parce que le modèle DevOps permet de tout faire, ce n’est pas parce que le CLoud Public offre des centaines de services, que l’ont peut tout faire, que l’on doit tout faire, et que chacun doive faire son truc dans son coin et réinventer la roue.
Quels seront donc les modèles “sur étagère” que nous devront généralisés autant que faire ce peu ?