Flex-office, Flex-work et Flex-salariés

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Vous avez dit flex-office ?

Il aura fallu une pandémie.

La marche inéluctable du “progrès” avait semblé se figer un instant, alors qu’une catastrophe sanitaire plongeait les esprits dans la torpeur. Mais cette marche conquérante n’aura suspendu sa course que le temps d’un clin d’œil.

Nous y voilà donc enfin. Voici une première facette du “nouveau normal” auquel nous allons devoir, nous salariés, nous adapter.

Le temps du bureau personnel n’aura duré que quelques décennies, et déjà il s’apprête à rejoindre les pages poussiéreuses des livres d’histoire. Mais ce temps n’est pas révolu pour tout le monde ; de votre statut dans l’entreprise dépendra désormais la jouissance exclusive d’un espace. Pour la plupart, il faudra apprendre à vivre avec ce nouveau signe ostentatoire de statut de travailleur de troisième classe, de sans-bureau-fixe, celui dont les coûts sont compressibles, celui pour lequel il reste toujours possible de serrer la ceinture d’un dernier cran.

Mais ne soyons pas surpris. Il est vrai que depuis longtemps déjà, cette “innovation” organisationnelle attendait son heure pendant que les premiers étages de l’ogive étaient patiemment assemblés.

Le télétravail choisi, était déjà une pratique courante dans laquelle tout le monde trouvait son compte. Et puis, l’essor de l’offshore avait bien inscrit dans les esprits, l’idée  que finalement on pouvait travailler de n’importe où et avec n’importe-qui. Et bien entendu, sur le site de Bezons, des salariés déjà sans-bureau-fixe goutaient depuis longtemps déjà, aux affres  de la précarité spatiale et au caractère hasardeux de la venue sur site ; tant et si bien que pour certains, le télétravail se pratiquait depuis longtemps 5 jours sur 5.

Un  virus aura donc fini par offrir sa laide couronne au succès de cette transformation tant souhaitée par ses instigateurs, financiers insatiables, œuvrant déjà à la mise en place du prochain plan d’économies.

Et alors ?

Mais puisque la mode est à l’optimisme, peut-être que les salariés en sortiront gagnants après tout ?

Berçons-nous du doux rêve que les économies ainsi réalisées serviront aussi bien à alimenter de généreuses augmentations de salaire, qu’à propulser les montants de nos primes d’’intéressement vers de nouveaux sommets. Et tant que nous y sommes, pourquoi douterions-nous de l’aspiration profonde de notre direction à utiliser les économies réalisées afin de mieux dédommager les télétravailleurs de leur frais supplémentaires de chauffage, d’électricité et d’alimentation. L’histoire récente ne nous rassure-t-elle pas ?

Et puis, la substantielle diminution des temps de transports ne va-t-elle pas se traduire aussi en une diminution de la fatigue et du stress ? Qui a besoin après-tout, de la convivialité des relations entre collègues ? Qui est aujourd’hui, encore friand des paroles amicales d’une ou d’un collègue attentionné(e), des moments de détente devant la machine à café ou ailleurs, de la convivialité des instants passés ensembles dans toutes les occasions de la vie professionnelle ou même de la petite vanne lancée au coin d’un couloir et qui met le sourire aux lèvres ?

Les anciens, ceux qui ont connu “avant”, pourront toujours, tel de vieux smartphone qu’on raccorde constamment au réseau électrique afin de redonner vie aux batteries, appeler les collègues de confiance, les complices avec lesquels on aime partager les bruits de couloir et les frustrations, les idées et les aspirations, les rires et les colères.

Mais qu’en est-il des autres, ces nouveaux employés qui vont rejoindre l’entreprise à l’ère du flexwork ?  Comment vont-ils se créer des amitiés en mode flex-office ?  Comment vont-ils seulement s’intégrer dans un collectif de travail ? Faudra-t-il embaucher des groupes d’amis ? Mettre en place des séances de speed-dating afin de compenser les vides laissés par l’entreprise fantôme ?

Comment ne pas commencer à appréhender cette nouvelle culture d’entreprise qui tel un mauvais  brouillard, menace de se poser sur nos collectifs ? Une culture du chacun pour soi où les notions d’entraide ou d’effort commun céderont la place, à coup de clics dans un réseau social d’entreprise,  à leur succédané virtuel. Voici, ce que le nouveau normal exige comme sacrifice aux démons d’une marge jamais rassasiée.

Vous avez dit Flexibilité ?

Voici donc les nouveaux venus dans l’arsenal sémantique de nos éminences grises, jamais à court d’idées pour imposer leur réalité.

L’agilité ne suffisait pas, c’est désormais la flexibilité qu’on érige au rang d’impératif dont on tente de nous convaincre. Voici donc le nouveau Saint Graal de la mystique managériale.

De quelle flexibilité s’agit-il ? Est-ce celle censée permettre l’adaptation à des circonstances particulières et imprévues ou bien nous joue-t-on ici, à l’instar du joueur de pipeau du conte pour enfants, une hypnotique rengaine qui tels les rongeurs  de la ville de Hamelin, nous amène toujours plus près des flots ?

Combien encore de contorsions devrons-nous consentir au nom de la flexibilité?  Quand cessera cette mise à mal de nos repères, de nos identités professionnelles, de nos valeurs et du sens de notre valeur, de notre besoin de cohérence ?

Remettons les pendules à l’heure.

Tout le monde apprécie la possibilité de travailler à distance.

Tout le monde apprécie, la diminution voire, la disparition de certaines contraintes, notamment celles relatives aux transports en commun ou aux embouteillages.

Mais il est des contraintes qui, telles des murs porteurs ou des membranes cellulaires, structurent et protègent l’organisme et rendent possible son fonctionnement harmonieux. Tout est affaire de limites et de mesure.

Tous les travailleurs n’ont pas les mêmes métiers, les mêmes besoins, ni le même tempérament. Certains s’accommodent peut-être de relations professionnelles épistolaires et superficielles; la plupart se ressourcent aux contacts de leurs collègues et grâce à des échanges nombreux et répétés.

Tous construisent ensembles et au jour le jour, l’entreprise en mouvement, grâce à la mise en commun de l’intelligence, du courage et des idées.

Offrons alors cette flexibilité aux salariés sans en faire une nouvelle contrainte dévoreuse de bien-être et de sentiment d’appartenance.

Le principe des bureaux mutualisé peut se justifier s’il permet à l’entreprise de donner plus de souplesse aux salariés qui le désirent, sans avoir à payer inutilement pour des surfaces inoccupées.

Ainsi les salariés quand ils le choisissent, peuvent bénéficier d’une meilleure marge de manœuvre dans la recherche d’un équilibre souvent difficile, entre vie privée et vie professionnelle. Pratiqué dans cet esprit, le travail à distance peut être source de bien-être et éventuellement une source d’économies pour l’entreprise si la mutualisation des bureaux l’accompagne.

La mutualisation devient très problématique quand elle finit par user le tissu social de l’entreprise jusqu’à la trame, et à faire oublier qu’une entreprise moderne ne tient que par le désir collectif.

Elle devient délétère quand l’aspiration centrale consiste non plus à produire un meilleur service aux  besoins des salariés, mais à subordonner l’organisation de l’entreprise et du travail à des impératifs de diminution des coûts, en fardant la démarche sous une lourde couche de communications visant à persuader les salariés de la supériorité organisationnelle du modèle.

Un bien mauvais ravalement fait par des artisans aux motifs peu glorieux.

Bien à vous

Toute l’équipe CFTC

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5 commentsOn Flex-office, Flex-work et Flex-salariés

  • J’aimerai avoir le choix, le choix de faire ou non du télétravail à 100%, d’avoir ou non (de facto) un flex office ou pas.

    Pourquoi toujours vouloir faire du “bien” commun, quand on oublie que 10% souhaiterait s’approcher des 100%?

    J’apprécie mes collègues, et j’ai la chance de les voir en extérieur hors Covid, mais je suis tellement mieux à travailler de chez moi.

    Vous avez le même discours que la direction, qui n’est pas celui vers lequel je souhaite aller. Qui sait, vous me retrouverez peut-être dans les paroles de salariés démissionnaires.

    Merci de défendre les intérêts des salariés, et de rendre le travail adapté à chacun, et pas uniquement

    • Avons-nous lu le même article ?

    • Bonjour Anonymous,
      Merci pour votre commentaire. Nous partageons juste un point de vue afin de nourrir la réflexion de chacun. Nous craignions actuellement que ce mode d’organisation soit nuisible collectivement mais aussi individuellement. Nous ne prétendons pas avoir raison, et espérons que notre position évoluera et s’affinera à travers nos échanges.

      Bien à vous

  • Avant tout,il faut faire confiance aux collaborateurs de l’entreprise. Il faut assumer le concept de flexibilité, ce n’est ni une nouvelle forme de contrainte (cachée?) ni le chaos ou l’anarchie. Comme vous le citez dans votre article, chacun est différent. A partir de ce constat, il faut accepter le fait que chacun pourra gérer de façon responsable (en grande majorité ce sera le cas) son temps de présence dans les locaux de l’entreprise en fonction de contraintes (réelles cette fois) personnelles et professionnelles. Ce ne sera pas forcément un découpage statique de la semaine, tant de jours par ci et tant de jour par là. Ce sera plutôt, en fonction des missions du moment et de l’environnment personnel, le meilleur équilibre possible sur une période donnée qui, d’ailleurs, ne sera pas forcément la même à chaque fois. Cela peut donner l’impression de désordre surtout comparé à nos “vieux” modèles d’organisation (pré-COVID). La fléxibilité c’est de la liberté mais c’est aussi de la responsabilité, cela va de soi. Quant au lien social de l’entreprise, si la flexibilité est réelle (et pas un prétexte), il n’en souffrira pas. Un collaborateur ou une collaboratrice qui aime le lien social devrait pouvoir toujours le trouver dans ce système, et celui ou celle qui n’éprouve pas ce besoin d’interaction, il ou elle y trouvera son compte également. Alors, me direz-vous, que pourrait-il bien arriver de mal? Hé bien que cette flexibilité n’en soit pas vraiment une (il faut de la confiance pour ça) et que la priorité (voire la seule raison) soit l’optimisation financière qui conduit souvent, malheureusement, à plus de contraintes et moins de liberté. Nous verrons.

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