Grève : la direction sème le vent et “s’étonne” de la tempête

In Actualités sociales, grève, Idées

D’aucuns auront remarqué que le mécontentement des salariés devient de plus en plus manifeste dans notre entreprise. Certains des symptômes étaient visibles depuis des années pour qui voulait les voir (vagues de burnouts, turn-over de plus en plus prononcé, baisse de productivité, résultats en berne  à l’enquête « Great Place to Work », etc…). Cela se traduit aujourd’hui, pour les plus déterminés des Worldliners, par un mouvement social déclenché en septembre dernier.

Un schéma connu

Nous n’allons pas retracer l’historique de cette transition chez Worldline déjà documentée dans d’autres articles sur notre site. Soulignons simplement que ce processus, dont l’un des jalons importants a été l’arrivée de Thierry Breton aux rênes de la société, ne s’arrêtera pas. Si l’on se réfère à ce qui se passe dans les entreprises similaires à Worldline, cette stratégie que nous subissons a pour principe une croissance illimitée aux profits de nos actionnaires, et ira probablement crescendo. 

Ce schéma est malheureusement banal dans les grandes entreprises, comme le montre l’histoire récente des 40 dernières années, qui a été le théâtre de la transition d’un capitalisme industriel à un capitalisme financier. (lire à ce sujet, “L’horreur économique” de Vivianne Forester, parmi une pléthore de sources possibles)

La CFTC Worldline, en tant qu’organisation syndicale dont la mission est de protéger l’intérêt des  salariés, n’a pas pour rôle de porter de jugement de valeur sur cette évolution de la société. Notre préoccupation est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les humains constituant Worldline gardent une place centrale dans la stratégie de l’entreprise. Jusqu’à organiser avec les salariés un contre-pouvoir en cas de dérives inacceptables.

Premier temps : inversion accusatoire

Revenons au mécontentement des salariés. Au tout début, celui-ci a été sciemment ignoré par la direction, qui semblait penser  que le mouvement allait passer tout seul. Tout n’était finalement que question d’accoutumance et d’acceptation du changement.

Las, le phénomène a persisté et suscité l’agacement de la direction. Elle a alors exprimé à maintes reprises devant les représentants sa lecture de la situation, qui était que les salariés devenaient capricieux et n’en avaient jamais assez.

On voit bien ici la double attitude de la direction : durant ses discours devant les salariés, elle essaye de paraître empathique, mais sa pensée profonde est qu’elle tolère tout à fait que toute une partie des Wordliners (même méritants) perdent du pouvoir d’achat.

C’est pourtant bien la politique salariale de la direction qui a amené ce mécontentement. Nous allons voir plus loin que ce principe d’inversion accusatoire est une constante, toujours présente dans les rapports de force asymétriques (la fameuse raison du plus fort).

Deuxième temps : pointer du doigt

Puis, le mécontentement a fini par percer à la surface sous la forme d’un mouvement social durable et visible (dans la presse, pour nos clients…), telle une infection longtemps ignorée. De plus, la direction des ressources humaines, a constaté un taux de participation inhabituellement haut aux élections professionnelle. Désormais, elle commence à craindre que le mouvement social soit plus qu’un caprice passager. Elle a pris la mesure du mécontentement qui est réel, profond, et la colère gronde.

Et nous assistons alors au second temps de la réaction de la direction : colère et hostilité. La violence de l’expression évolue graduellement, de la tentative de culpabilisation (accusations d’« irresponsabilité ») jusqu’à la menace larvée et au discrédit (« prise d’otages ») pour éventuellement aboutir à des actions de rétorsion.

Feignant l’étonnement outré face à la réaction très inhabituelle des salariés Worldline devant la proposition “généreuse” qu’elle a produite dans le cadre de “négociations” anticipées,  elle abandonne la stratégie de l’appel au calme et de la culpabilisation (voir article) et déclenche la deuxième phase du dispositif. Cette fois, elle désigne le mouvement social à la vindicte populaire, par le truchement de managers convoqués manu-militari à une réunion leur demandant de “communiquer” avec leurs collaborateurs grévistes afin de les enjoindre à de meilleures dispositions.

Double discours assumé

Dans cette réunion, elle assume d’emblée un double discours,  consistant côté cour à dresser un tableau économique épouvantable quand il est question d’augmentations, tandis que côté jardin, une vision des plus idylliques est présentée au marché par mr Grapinet. On est en droit de se demander si elle dit la vérité au moins de l’un des deux côtés. Toujours est-il que Worldline a investi dans pas moins de 3 sociétés depuis le déclenchement du mouvement, donc la capacité d’investir est bien là.

Déformer les intentions des grévistes

Ensuite, la direction accuse les grévistes, de chercher à nuire à l’entreprise. Le but de la grève ne serait donc pas, pour les salariés, de préserver leur pouvoir d’achat et stopper la dégradation de leurs conditions de travail, mais simplement de nuire à l’entreprise.

Pourtant, ces salariés n’ont jamais – ne serait-ce qu’une fois – été aux manettes durant ces 10 dernières années, pendant lesquelles Worldline France est allée de déconvenues en déconvenues (perte de gros contrats, explosion des burnouts et de l’attrition, désorganisation des équipes et perte d’agilité, échec de l’usine monétique, baisse de la marge France), et n’en sont donc pas les principaux responsables.

Les grévistes se voient donc “promus” au rang d’illégitimes destructeurs, alors que dans leur immense majorité, il s’agit de salariés consciencieux se dévouant depuis des années à la réussite et à la richesse de leur entreprise. Mais la direction semble vouloir prohiber toute velléité de prise de conscience politique face à ce qui est en train de se jouer au sein de leur entreprise, chacun étant renvoyé à sa responsabilité personnelle dans une décision risquant de ternir l’image de l’entreprise.

Feindre de négocier, accuser les syndicats de faire échouer la négociation

Toujours dans la même réunion, la direction ajoute que les syndicats ont fait échouer les négociations du 27 octobre en maintenant l’appel à la grève du 8 novembre. Nouvel exemple d’inversion accusatoire !

Primo, les syndicats avaient au contraire fait un pas considérable vers la direction pour être constructifs et faire avancer ces négociations, en abaissant nettement les montants des revendications et la répartition des enveloppes (comparer les revendications intersyndicales du 13/10 et la contre-proposition intersyndicale 2 semaines plus tard). Las, suite à ce geste, la direction était revenue vers les représentants dans une attitude très fermée, présentant une ”ultime” copie quasiment inchangée de sa part, non amendable, avec un budget d’augmentations de 3,58%, très loin des revendications des salariés et de l’inflation (estimée à 10% par la direction sur 2022 + 2023, mais ce chiffre est probablement loin de la réalité – voir à ce sujet les interventions des PDG de Leclerc et de Carrefour). Cette accusation lancée au visage des représentants syndicaux est la marque d’une propension à mentir et à faire preuve de violence symbolique en montant les salariés les uns contre les autres.

Secundo, rappelons que c’est l’ensemble des salariés rassemblés en Assemblées Générales le 25 octobre qui avait voté très largement pour cette journée de grève, il n’appartenait donc pas aux Organisations Syndicales de l’annuler (sauf obtention totale des revendications).

Des chiffres faussés

Enfin, n’oublions pas d’évoquer la minimisation des chiffres. A chaque épisode de la grève, les chiffres annoncés par la direction étaient systématiquement plus bas que le nombre de personnes recensées en assemblées générales, problème que nous leur avons remonté dès le début. A la lecture de cet article, la direction a affirmé à la CFTC que “le comptage est bon”, qu’il n’y a “pas de volonté de minimiser le nombre de grévistes”, tout en reconnaissant que le nombre de grévistes leur arrive “au fil de l’eau”, “parfois une semaine après”. Reste que sa méthode de comptage donne des résultats systématiquement sous-évalués (dernier exemple en date). Non seulement la direction communique ces chiffres erronnés, mais elle ne semble rien faire pour corriger ces incohérences, semaine après semaine.

Autre inexactitude, une partie des heures de grève n’a pas été décomptée sur les fiches de paye (des centaines de grévistes l’ont constaté). S’agirait-il de minimiser les chiffres présents sur les documents officiel tels que le Bilan social ? Là aussi, la direction nous a très récemment affirmé que non, plaidant tantôt un problème de bande passante dans l’équipe paye, tantôt un problème technique lié au changement d’outil.

Bref, la direction plaide systématiquement l’erreur sincère, mais ces erreurs l’arrangent car les Spin Doctors cherchent évidemment à minimiser l’ampleur de la grève. La direction dit considérer le dialogue social comme « primordial » dans la presse, mais montre sur le terrain ses vraies priorités.

Quel sera le 3ème temps ?

La présentation faite aux managers, sous la forme d’un procès d’intention intenté à une “minorité”, et remplie d’éléments de langage dignes de BFM TV, montre que nous avons affaire à des professionnels. La chorégraphie semble bien rodée. Il est d’ailleurs probable que des consultants sont à la manœuvre et font bénéficier nos cadres RH de leur expertise dans l’art de désamorcer un mouvement de grève (edit : la direction nous a affirmé que non en relisant cet article). En tout cas, on sait que la DRH fait régulièrement appel à des cabinets de consulting.

Il y a donc fort à parier que l’escalade suivante consistera à laisser planer de vagues menaces, et sans jamais être trop explicite pour ne pas enfreindre la loi – bien entendu. Quelques équipes nous ont d’ailleurs déjà remonté de tels actes émanant des managers ou des RH, on attend vos témoignages en commentaires plus bas, si vous êtes concernés.

L’avenir

Plus que jamais, la direction et le contexte mondial nous emmènent vers plus de rapports de forces et moins de dialogue social.

La direction ne devrait pas infléchir sa politique malgré les conséquences néfastes que chacun constate, et qui ont été dénoncé régulièrement par le CSE dans ses avis. Car sa seule préoccupation restera de mettre en place toujours plus de mesures plaisant aux actionnaires (juniorisation, offshorisation…), fussent-elles court-termistes et délétères. En interne, elle assume tout à fait de laisser partir pour raisons salariales ceux qu’elle considère pourtant ses meilleurs éléments, quitte à dégrader consciemment la performance opérationnelle de l’entreprise.

Malheureusement, l’augmentation du coût de la vie va continuer ; certains économistes parlent déjà d’une inflation à deux chiffres pour 2023 (contrairement aux prévisions  de l’INSEE). Si la direction ne fait aucun geste pour le pouvoir d’achat des salariés malgré les bons résultats financiers, ou si elle le fait de manière aussi maladroite et inique que ces derniers temps (rappelez-vous « l’effet Domino » il y a un an), on s’orientera vers une période encore plus tendue pour les Worldliners et le dialogue social.

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2 commentsOn Grève : la direction sème le vent et “s’étonne” de la tempête

  • Je confirme les heures de grèves non décomptées sur la fiche de paie, mais pourtant dument déclarées au manager de l’équipe.

    Quant à l’attitude de la direction, toute proportion gardée bien sur, elle me fait furieusement penser à celle d’un dictateur de l’est, omniprésent dans les médias actuellement. J’y retrouve les même ressorts psychologiques.

  • Swimming with Sharks

    Bravo ! Tellement vrai. Worldline est devenue méconnaissable en 10 ans.

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