Mon burnout chez Worldline [5]

In Paroles de salariés

Bonjour à toutes et à tous,

Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir le parcours de Félix au sein de Worldline qui l’amènera à faire l’expérience d’un « bore out ».

Table des matières

Le parcours de Félix au sein de Worldline

La covid et des doutes

Des doutes sur les valeurs de l’entreprise

Des doutes sur le leadership de la direction

De la difficulté de faire un travail de qualité

Sur le soutien du management

Des envies de quitter l’entreprise

Dépression & Rupture conventionnelle impossible

Continuer à travailler malgré tout

Le bore out

Problèmes mentaux et souffrances physiques

De la difficulté de se motiver

De la nécessité de l’arrêt de travail

Se faire aider

Sur la charge de travail et l’investissement

Difficulté de trouver sa place dans un collectif

Les séquelles du bore out

Très bonne lecture !


Equipe CFTC : Pour commencer pourrais-tu présenter ton parcours chez Worldline et la situation dans laquelle tu étais avant ton épuisement ?

Le parcours de Félix au sein de Worldline

Félix : ça marche. Alors pour commencer je suis arrivé chez Worldline lors de ma première année d’école d’ingénieurs, j’avais 19 ans. Aujourd’hui j’en ai 25. J’ai commencé par des stages chez SDCO. Au bout de ma troisième année d’école, pour l’alternance, j’ai changé d’équipe et je suis arrivé dans une équipe en BU. Le client et l’équipe étaient réputés pour être difficiles, le pire projet on va dire, qui est parti en fumée. Aujourd’hui ce client n’existe plus. C’est parti un petit peu en feu d’artifice et donc je suis arrivé par la bande, je me suis dit OK, pourquoi pas.
En fait cette année-là d’alternance, je n’ai pas fait grand-chose, je n’ai pas appris grand-chose, car mon tuteur n’était pas disponible pour s’occuper de moi. J’étais un peu livré à moi-même. J’ai donc changé de projet à la fin de cette troisième année d’alternance parce que le contexte était pesant, je voyais des collègues qui pleuraient, c’était laborieux.
Je suis arrivé sur un projet complètement différent, avec une ambiance beaucoup plus jovial, plus jeune aussi. C’était du côté d’Equens Worldline. Cela m’a permis de voir une entité différente, avec un historique différent, ce n’était pas les mêmes manières de procéder, même si finalement cela n’a presque rien changé dans mon travail. Je suis arrivé en tant qu’alternant, et ensuite pendant deux ans j’ai travaillé sur des enjeux en lien avec le monde de la bourse. C’était un domaine qui m’intéressait beaucoup, cela m’a plu.
A la fin de mes deux années j’ai basculé en CDI, nous sommes en 2019. C’est ça, été 2019, je passe en CDI. Mon premier CDI. La RH a essayé de prendre en compte le fait que j’ai fait de l’alternance et que j’avais de l’ancienneté dans l’entreprise. J’arrivais avec un an et demi d’ancienneté. De base il se base sur une grille de rémunération de sortie d’école et il n’y a pas forcément de place pour négocier quoi que ce soit. Donc j’ai pris ce qu’ils m’ont proposé. J’ai pris le package et puis j’ai continué à travailler chez Equens. Je n’ai pas changé d’équipe, j’ai changé de responsabilités, je suis devenu lead dev du projet où j’étais. Cette promotion était uniquement honorifique, car cela n’a pas donné lieu à une évolution salariale. Et du coup j’ai commencé à gérer beaucoup plus de choses.

La covid et des doutes

Des doutes sur les valeurs de l’entreprise

Et puis la crise de la covid est arrivée, et là cela m’a fait me poser pas mal de questions, pas mal de remises en question. Je me rendais compte aussi que les valeurs d’une entreprise comptaient beaucoup pour moi. Les valeurs de Worldline, je ne sais plus lesquelles ils ont définies, innovation, etc. il y a plusieurs valeurs. Et du coup je me disais « OK bon il y a des valeurs mais je ne les vois pas au quotidien ». Innovation ? Eh bien pas vraiment, on reste à travailler sur des projets assez vieux, on essaye d’innover mais bon on continue avec des vieilles façons de procéder. Là on commence tout juste à migrer vers Windows 10, on essaye de transmettre quelque chose mais j’ai l’impression que c’est lent, on a encore du retard sur pas mal de choses et cela ne me correspondait pas, ne correspondait pas à ma manière de voir les choses. Moi je suis quelqu’un qui essaye d’être toujours au courant des dernières choses qui se passent, de les appliquer. Enfin il y a des nouvelles pratiques etc. et bien je vais essayer de les mettre en place, de toujours être au courant, et d’être au top de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde de l’IT et du développement en informatique. Et je me rendais compte que même en étant force de proposition, c’était compliqué de pouvoir pousser une idée ou de réussir à modifier un process qui est déjà bien bouclé. On avait pas trop son mot à dire, et voilà je me sentais un peu « OK je fais mon travail et c’est tout ! Je ne peux pas améliorer les choses ! ».

Je me souviens avoir participé à une réunion générale de Claude France, et c’est là où je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose qui ne me convenait pas. Certains salariés posaient des questions à la fin, notamment les salariés étrangers qui viennent travailler en France et qui évoquaient certaines difficultés au niveau du process avec la préfecture, du renouvellement de leurs cartes de séjour, etc. Je me disais c’est bizarre Worldline devrait avoir tout le nécessaire pour que le process soit clair et que les salariés n’aient pas à galérer administrativement. Je me rendais compte qu’n réalité pas mal de gens à part moi, avaient des problèmes. Je voyais Worldline d’une certaine manière, et bien le fait d’assister aux réunions générales, d’entendre plein de questions, je me rendais compte qu’il y avait quand même pas mal de choses qui ne fonctionnaient pas.

Des doutes sur le leadership de la direction

Equipe CFTC : Pourrais-tu préciser de quoi il s’agit ?

Félix : Pour moi ce qui est important, c’est de comprendre où la Direction nous emmène afin que nous nous y retrouvions. Quand tu travailles pour quelqu’un, tu as envie de savoir où est-ce que l’on va. Est-ce que ces personnes, qui sont au-dessus de nous, ont conscience de ce que tu fais ? Et c’est comme ça qu’ils arrivent à te faire suivre la direction qu’ils souhaitent, car ils comprennent ta position.
Je me rends compte que régulièrement, dans les grandes structures, ils savent où aller mais ne prennent pas en compte ce qui se passe sur le terrain, il y a une désynchronisation. Par exemple, quand j’étais chez SDCO, l’arrivée des nouvelles façons de procéder au niveau de l’hébergement des services avec Docker a posé beaucoup de problèmes. Nous avions toujours une équipe système qui était à la ramasse, où les budgets étaient toujours limités pour pouvoir faire ce que nous devions faire. Et bien j’ai l’impression que le leadership n’avait pas cette vision-là des difficultés que nous avions sur le terrain. J’ai vu l’écart qu’il y avait entre les n+3 et nous. Et je me dis c’est dommage, tu as envie d’avancer, j’avais des collègues chez SDCO qui voulaient pousser des choses, qui voulaient faire les choses bien, mais il y avait un blocage, ils étaient limités dans leur champ d’action. Et je me dis « OK, moi je suis du genre aussi à vouloir pousser des choses etc. et si eux n’y arrivent pas et bien moi je sais que je ne vais pas y arriver, cela sera très compliqué ». En ayant cette vision-là et ce recul, je me dis que Worldline, en termes de travail et en termes d’équipe, c’est bien. Là, dans l’équipe, j’arrive convenablement à faire un peu bouger les choses, mais si j’essaie de faire plus, c’est très compliqué. Si je veux par exemple proposer une meilleure solution etc. cela devient impossible. Je me suis rendu compte par la suite que c’est comme ça dans la plupart des grosses structures.
Plus la structure est grosse, plus tu as des personnes au-dessus de toi, et plus l’information est filtrée. Cela a était une prise de conscience, je me suis dit à ce moment-là  « OK, moi les grosses structures comme ça, cela ne me convient pas ». Même si dans mon équipe, on arrive à avoir de l’humain, on peut facilement communiquer avec notre n+2, n+3. Au sein de Worldline, j’ai l’impression que nous sommes une bulle dans une autre bulle, et cela ne me convenait pas vraiment.
J’ai fait abstraction, j’ai mis de côté.

Et au bout d’un moment, quand la Covid est arrivée, il y a eu une remise en question. On est chez soi, et c’était très compliqué de se mettre en mode full télétravail. Moi je n’ai pas eu de souci mais au niveau de l’équipe, je sentais que certains étaient vraiment faits pour travailler sur site. Ils ont vraiment eu du mal pour s’adapter à ça. De mon côté cela a mis pas mal de choses en question. Je me posais la question suivante : « Est-ce que ce que je fais actuellement c’est vraiment ce que j’ai envie de faire ? Est-ce que quand je me lève le matin j’ai vraiment envie de bosser pour Worldline ? Est-ce que je ne le fais pas juste parce que c’est ma solution de confort et parce qu’il faut le faire ? » Ma remise en question s’articule autour de l’idée suivante : OK je travaille pour quelqu’un mais cette personne, elle s’en fout complètement du travail que je fournis. Donc voilà grosse remise en question sur ça.

Je pense que cela explique le fait que j’ai eu une grosse démotivation à un moment, fin 2020. J’avais vraiment plus aucune motivation à continuer parce que je ne voyais plus l’intérêt de ce que je faisais. Je faisais un travail pour un gros client mais je ne voyais pas l’impact que cela pouvait avoir [silence] je n’avais plus d’intérêt dans le travail que je faisais tout simplement [silence].

Equipe CFTC : Avant que tu rentres plus en détail dans cette période, j’aimerai que tu précises un point. Tu as très bien posé le cadre de tes difficultés à trouver ta place dans une grande organisation. Tu ajoutais que tu avais réussi à mettre tout ça de côté. Je voudrais savoir un petit peu comment cela se passait avec l’équipe. En tant que lead dev, est-ce que tu as essayé de faire des choses ? Est-ce que tu as essayé de retrouver de l’innovation et une véritable autonomie à l’intérieur de ta petite bulle ?

De la difficulté de faire un travail de qualité

Félix : Mon chef a bien vu que j’étais force de proposition et que je proposais plein d’améliorations. Donc à partir de là j’ai pu mettre en place des choses dans l’équipe. Certaines choses se sont faites, d’autres non. Ce qui est bien dans cette équipe, c’est qu’ils sont à l’écoute, on a de l’espace quand même pour s’exprimer. Le problème c’est que, ça c’était au tout début, et au fur et à mesure que cela a évolué, nous avons eu des nouveaux clients qui sont arrivés sur le projet. Beaucoup de nouvelles personnes, surtout des juniors, sont arrivées pour accompagner cette croissance. Nous n’étions plus là pour améliorer les choses, nous n’étions plus là pour poser des nouvelles façons de faire, nous étions là derrière les juniors à essayer de corriger ce qui n’allait pas, à corriger les bugs etc. Quand on a des nouvelles personnes qui arrivent sur le projet, il faut les former, ils ont souvent des questions, on doit les accompagner. On passait plus de temps derrière eux que de temps à réaliser notre travail de lead dev ou d’architecte. Cela m’a un peu démoralisé. Cela a commencé avec le nearshore, on nous a imposé neuf personnes, Atos Maroc. Même notre chef n’était pas trop d’accord. On a dû se plier à ce process qui nous imposait d’intégrer ces nouvelles personnes. A partir de là, on a eu pas mal de déceptions, là ça commence à moins bien aller. C’est toujours un problème de faire moins cher, on veut faire les choses au moins cher, mais au final nous, on est toujours derrière à reprendre le travail qui a été fait. On devait passer du temps à faire le ménage derrière. Cette mentalité de faire de Worldline, de pouvoir imposer l’outsourcing des équipes, je trouve ça un peu injuste. Sachant que la plupart des gens étaient contre. Je me dis, ils n’ont pas écouté, ils n’ont pas été à l’écoute. On se retrouve aujourd’hui avec plein de personnes sans réussir pourtant à tenir nos objectifs car on a toujours des sollicitations à droite et à gauche des juniors. On n’a plus vraiment le temps d’avancer sur les choses que l’on doit faire.

Equipe CFTC : je comprends.

Félix : Tout ça m’a un peu refroidi. Et je ne suis pas le seul dans l’équipe. Il y a deux autres seniors qui sont là depuis plus de 10 ans dans l’équipe, cela pèse sur leur moral également.

Sur le soutien du management

Equipe CFTC :  Je me demandais si tout ça tu l’avais partagé avec ton manager à l’époque ?

Félix : Mon manager je le tenais toujours au courant. J’avais partagé avec lui le fait que je prévoyais de partir, je ne me sentais plus vraiment à l’aise. Je partageais avec lui les difficultés que je pouvais rencontrer, j’étais toujours en communication au moins avec mon N+1. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Ma baisse de motivation cette année je lui en ai parlée, il a compris, il m’a proposé des solutions etc. En termes de communication il n’y a pas de problème, ils sont assez compréhensifs. Et même au niveau de l’équipe, si on dit que nous avons trop de charge de travail, ils vont faire en sorte de répartir un peu sur d’autres personnes et de nous alléger. Sur ce côté-là il n’y a pas de souci.

Des envies de quitter l’entreprise

Equipe CFTC : d’accord. Sur l’évolution du travail qui ne correspondait plus à tes attentes, avec la montée en puissance de l’encadrement des juniors, finalement as-tu réussi à retrouver des choses plus à ton goût ?

Félix : du coup j’ai essayé de me caler sur des projets, qui sont arrivés petits à petit à droite et à gauche. Je suis sur un projet où il faut refaire un module de A à Z, et là cela me permet de pouvoir faire un petit peu plus ce que j’aime. Mais je me rends compte que je ne sais pas si cela tient au fait que cela fait longtemps que je suis dans la boîte mais cela ne me plaît plus vraiment.
Il faut savoir que je suis entouré par des personnes qui sont indépendantes dans le même domaine, qui sont dans d’autres entreprises, qui sont mieux payés, qui font des choses plus intéressantes. Le fait d’être entouré de personnes freelance ou indépendantes, je me dis pourquoi je ne peux pas moi aussi tenter l’aventure. Pourquoi ne pas tenter d’avoir ma propre auto entreprise et de pouvoir faire le même travail en étant mieux payé ? Je pourrais alors choisir des projets que j’aime réellement.
Il y avait aussi pas mal de questions qui me trottaient dans la tête : est-ce que cela me plaît vraiment de toujours faire mon 9h / 18h dans la même entreprise ? Je ne me voyais plus vraiment dans ça. Et en même temps beaucoup me disaient tu es jeune, tu peux tenter autre chose, même dans l’informatique il y a tellement d’emploi en ce moment que cela n’est pas un problème, tu retomberas toujours sur tes pieds. J’ai beaucoup réfléchi à ça, j’ai essayé de faire maturer tout ça dans ma tête. J’avais parlé de cette possibilité à mon chef. Et il est arrivé un moment où je me suis dit « OK cela ne sert à rien que je continue un travail où je ne vais pas bien, je vais essayer de partir sur autre chose ».

Dépression & Rupture conventionnelle impossible

Mon idée de base était d’être indépendant. Pour être indépendant tu avais soit la démission, mais la démission tu n’as pas de filet de sécurité de l’assurance chômage, soit la solution de la rupture conventionnelle, soit l’abandon de poste. J’ai demandé une rupture conventionnelle. Malheureusement je me suis bien rendu compte que le manager du pôle ne faisait pas de rupture conventionnelle, enfin il les refusait sauf aux personnes qui n’étaient pas très performantes. Je me suis dit « OK il y a un problème ! » : Je me sens mal, j’ai même été une semaine en arrêt parce que je n’arrivais plus à travailler, j’étais devant mon PC et j’étais complétement bloqué, je n’arrivais plus à avancer, je n’avais plus aucune motivation, je ne parvenais plus à continuer à travailler sur ces projets-là. J’ai demandé un arrêt pour me reposer. Cela m’a permis de beaucoup réfléchir. Et je me disais que peut-être mon arrêt va être un atout pour ma rupture conventionnelle. Mais au final je me suis rendu compte que le manager supérieur n’en a rien à faire. Que le travail pèse sur notre santé mentale, et bien non, ils ne veulent pas faire de rupture conventionnelle. Cela m’a dégoûté. J’avais une bonne vision des personnes de l’équipe, mais du côté des ressources humaines, j’ai l’impression que c’est complètement bloqué. Quand cela ne va pas dans leur sens, et bien c’est très, très dur de pouvoir se battre pour avoir une réponse positive à une demande particulière. Je leur ai dit « si vous avez quelqu’un qui va mal dans l’équipe, qui ne se sent pas bien, qui a envie d’arrêter, et bien ne risquez pas qu’il parte en dépression ou en arrêt maladie, offrez-lui une rupture conventionnelle ! ». C’est juste humain, tu vois ? Dans les valeurs de l’entreprise, il y avait bien la valeur humaine. Je me disais si quelqu’un est en dépression aujourd’hui à cause du boulot et qu’il demande une rupture conventionnelle, on va lui accorder. A l’inverse un refus serait un peu moyen, surtout du point de vu de la valeur humaine. Je n’étais pas en grosse, grosse dépression donc cela n’a pas suffi à la RH. J’avais quand même essayé des antidépresseurs etc. mais c’est quelque chose que j’ai tout de suite arrêté. Je ne voulais pas rentrer dans ce schéma-là, bien que ça soit comme un autre médicament, ça aide si c’est nécessaire. J’en avais quand même pris, cela m’avait un peu aidé, mais heureusement j’ai pu m’en débarrasser assez vite. Quand je parlais à la RH de ma rupture conventionnelle, je n’avais pas forcément les idées claires dans ma tête. Forcément quand tu es dans cet état-là, tu ne réfléchis pas bien, la manière dont tu parles cela n’a ni queue ni tête, enfin tes propos n’ont pas forcément de sens.
Ce temps de pause, pendant mon arrêt, j’ai pu me remettre face à moi-même et essayer de remettre les choses au clair. J’ai reparlé à la RH, j’ai essayé de renégocier une rupture conventionnelle, mais je voyais bien que cela bloquait et que cela n’était pas possible. La RH m’avait alors conseillé un abandon de poste. Mais cela c’est pareil, c’est très zone grise dans le sens OK ils peuvent t’accompagner dans ton abandon de poste mais après ton dossier peut être mal vu aux yeux de Worldline et des autres employeurs. Je n’aimais pas trop le principe qui revient en réalité à planifier une faute grave. Je me disais que ce n’était pas top en termes d’éthique. C’est une fraude. On me propose de faire une fraude mais ce n’était pas dans ma nature. Je ne voulais pas faire une faute que je n’ai pas envie de commettre [rires] Au départ je me suis dit pourquoi pas, cela reste une solution et puis avec le temps je me suis dit « non je ne veux pas partir comme ça ! »

A ce moment-là, je m’étais senti un peu dans une prison et je me suis dit « je continue, on va attendre de voir la suite ». Si la rupture passe par une mauvaise performance, alors je vais essayer peut-être de travailler un peu moins [rires] c’est compliqué ! J’ai l’impression d’être un imposteur. Je ne pouvais pas faire ça, ça serait un manque de respect pour mes managers. Je ne me voyais pas faire ça en tout cas. Et voilà.

Continuer à travailler malgré tout

J’ai donc continué jusqu’à ce jour, je faisais d’autres projets en dehors de Worldline et c’est ça qui m’a aidé sûrement, de pouvoir [hésitation] En étant en télétravail on a du temps pour travailler sur d’autres choses. Moi je travaille aussi sur des projets pour des associations etc. et cela permet aussi de se libérer de la tête et de faire vraiment un travail qui a plus de sens pour nous. Cela m’a vraiment aidé à relativiser et à me dire « ok je travaille pour Worldline mais cela ne durera pas tout le temps ». Je m’étais dit qu’au début de l’année 2021 je quitterai l’équipe, mais je sentais que cela n’était pas encore le moment. Donc j’ai laissé filé. Ce qui fait que du coup, mais je sens que maintenant c’est le bon moment. En dehors de la société j’ai à présent plusieurs clients en tant que free-lance. Je peux être indépendant à plein temps alors que précédemment cela était impossible. Aujourd’hui je me dis « OK je peux à présent démissionner, je serais beaucoup plus heureux et plus épanoui, je pourrais vivre une nouvelle aventure et cela me permettra de souffler de tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent ».
Voilà les différentes étapes de mon aventure. C’est ma solution, il m’a fallu du temps car cela faisait déjà deux années que je planifiais de partir. Le plus important c’est de ne pas se précipiter. Quand on a des idées, il faut les laisser mûrir et quand on sent que c’est le bon moment, et bien il faut y aller. C’est là où je me suis dit le salariat ne me convient plus, ce n’est plus ma façon de voir les choses. Peut-être parce que je suis jeune, et dans 20 ans je serai à nouveau salarié, on n’en sait rien, mais je me dis qu’à cette étape de ma vie je ne me vois pas tous les jours faire un travail de 9h à 18h.

Le bore out

Tout cette séquence et cette maturation, expliquent que j’ai continué à faire un travail qui ne me plaisait plus vraiment. Je ne voyais plus d’intérêt à le faire. Cette situation m’a conduit dans une espèce de bore out. Pour moi le burnout c’est quand on a une charge de travail excessive, dans mon cas ce n’était pas vraiment ça. C’est plus un mélange entre un travail que l’on n’aime pas et une remise en question personnelle. C’est entre le personnel et le professionnel. C’est pour ça que c’était très compliqué de l’expliquer aux RH et à mon chef etc. Je ressentais un mal être lié à du personnel, ce n’est pas forcément lié au professionnel. Je n’étais pas débordé par la charge de travail, l’équipe fonctionnait assez bien, etc. C’est plus une remise en question sur qu’est-ce que je veux faire dans la vie ? Est-ce que ce que je fais  aujourd’hui me convient ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire dans cinq ans ou dans 10 ans ?

Equipe CFTC  :  tu nuances un petit peu ce que tu disais au début. Les premières choses que tu évoquais c’était cette impression de décalage que tu ressentais. Tu parlais du leadership, du fait de partager, d’avoir envie de suivre le chemin qui est proposé par nos leaders, si je reprends ce que tu disais tout à l’heure. Tu parlais de tous ces décalages. Tout ça, c’est bien une dimension professionnelle, c’est ancrée dans notre organisation. C’est un choix d’organisation. Je suis d’accord avec toi qu’il y a du personnel, c’est bien toi qui te projettes là-dedans, qui est bien ou qui n’est pas bien dans ce que propose l’organisation. Ce qui me semble intéressant c’est de voir ce décalage entre des attentes et une proposition. J’aimerais bien que l’on revienne un tout petit peu en arrière car tu es passé assez vite. A plusieurs moments tu me dis, je continuais à travailler mais cela n’allait pas bien, etc. comment tu en es arrivé à te dire à un moment stop ! Il faut que je m’arrête ! On peut revenir sur ce moment où il y a eu un déclic. Est-ce que ça a été un déclic ? Est-ce que un événement particulier a déclenché l’arrêt travail ? Comment expliques tu ce moment où tu dois t’arrêter de travailler ?

Problèmes mentaux et souffrances physiques

Félix : Je suis arrivé à un stade où cela me prenait vraiment mentalement et même physiquement. J’avais du mal à dormir etc. C’était vraiment bizarre parce que je pense que l’inconscient fait beaucoup de choses dont on n’a pas conscience [rires] Par exemple je me réveillais comme si je n’avais pas dormi, et puis je commençais à avoir des douleurs intercostales quand je respirais. Je sentais physiquement la charge morale que cela impliquait, et c’est là que je me suis dit « mais attends ce n’est pas normal ! » C’est là où il y a un truc qui a commencé à agir, le mental agit carrément et cela descend physiquement dans mon corps. Et je me dis là c’est une alerte rouge, je me suis dit OK il faut que je stoppe, il faut que j’aille voir un médecin parce que le soir je me couchais j’avais vraiment du mal à respirer, cela me faisait comme un pique au niveau des poumons etc. enfin c’était très bizarre. C’est là où je me suis dit stop, quand cela a commencé à avoir des effets physiques sur mon corps.

Equipe CFTC : quand tu parles de charge morale, c’est tout ce que tu m’as expliqué précédemment, c’est bien ça ?

Félix : c’est ça qui est très compliqué à expliquer, c’est que quand on est démotivé par quelque chose, on ne voit plus le sens de ce que l’on fait, moi en fait quand je travaille pour quelqu’un ou pour quelque chose, j’y mets tout mon énergie etc. et je fais en sorte que les choses avancent et que cela bouge et que je ne reste pas sur place. Et le fait de rester sur place et que je n’arrive pas à avancer, et je n’arrive pas à avancer parce que je ne suis plus motivé etc. tout ça ne me corresponds pas ! Moi je suis du genre à travailler, enfin à être à fond etc. pour un projet et là le fait que je stagne cela me mettait hors de moi. Qu’est-ce que je dois faire  pour pouvoir de nouveau en fait être à fond ? C’est là que tu essayes de trouver des motivations, de te dire OK ça tu aimes bien, il faut le faire même si tout le reste ne va pas, essaye de te concentrer sur ça ! À ce stade là où j’étais, c’était très compliqué de me motiver moi-même, de trouver quelque chose qui pouvait me faire bouger un peu. Le fait de toujours stagner moi cela m’a fait péter un câble, littéralement. On n’est pas fait pour ne rien faire de nos journées, c’est terrible.

Equipe CFTC : mais tu faisais tout de même des choses ?

De la difficulté de se motiver

Félix : au final dans mon travail je faisais presque rien. J’étais sur l’ordi mais au final comme je n’arrivais pas à travailler, je faisais des choses sur Internet etc. je n’avançais plus sur le travail que je devais faire. Parce que je ne voulais plus, je voulais tout foutre en l’air, je vais tout arrêter d’un coup. Mais je pense que c’est une accumulation de choses qui s’est faite au fur et à mesure, ce n’est pas arrivé comme ça. Ce n’est pas un événement particulier qui est arrivé. La crise sanitaire a beaucoup jouée aussi. Mais c’est dur d’expliquer [silence] d’expliquer concrètement pourquoi cela est arrivé comme ça et à ce moment-là.

Equipe CFTC :  quand tu dis c’est une accumulation de choses, tu veux dire que c’est par exemple ce que tu essayais de dire au début sur ton job qui avait été modifié, tu n’étais plus que dans l’accompagnement et la formation des juniors ? Tu ne te retrouvais plus dans l’éthique de l’entreprise etc. c’est un peu toute cette accumulation c’est ça Félix ?

Félix : oui, c’est bien ça, le changement d’équipe. Mais aussi je ne me retrouvais plus dans le leadership de la société. Je m’étais détaché émotionnellement car je planifiais de partir dans un autre pays. Mais la crise covid a commencé, et j’ai dû me dire au final que je devais décaler mon projet. Il a donc fallu se motiver à nouveau et se dire OK je suis toujours dans l’équipe pendant quelque temps. Cela s’accumulait. Oui c’est principalement ça. Et de me dire aussi que je pouvais avoir d’autres opportunités autre part. Les sollicitations extérieures ont dû jouer, et puis il faut savoir que je suis toujours en relation avec d’autres personnes dans le domaine mais qui exercent leurs activités dans d’autres conditions. Ils sont très satisfaits et me disent comment cela se passe etc. Je me disais que cela me conviendrait mieux que ce que je fais actuellement dans ma société. Cela est resté en moi mais je le mettais un petit peu de côté, mais cela ressort, je me remets en question, ah oui là je ferais bien de réfléchir à quitter mon poste et de voir autre chose. Cela restait une semaine, deux semaines et puis ensuite je remettais ça de côté, j’essayais de me reconcentrer sur ce que je faisais. Et puis au bout d’un moment je n’ai plus réussi à mettre tout ça de côté et je faisais que d’y penser, d’y penser. Tout ça plus l’accumulation de plein d’autres choses ont fait que je ne voulais plus être à ce poste-là, je voulais tout changer,  complètement.

Equipe CFTC : j’ai deux questions Félix qui me viennent à l’esprit. Si je comprends bien, finalement est-ce que Worldline en modifiant certains aspects de ton travail, est-ce qu’ils auraient pu te retenir ? Et si oui qu’est-ce qu’il aurait fallu qu’ils fassent ?

Félix : bonne question. S’ils avaient une autre façon de faire les choses, je pense que cela aurait pu aider les choses. C’est là que c’est compliqué car il y a aussi cette part personnelle dont je t’ai parlé. Peut-être que Worldine et le schéma actuel qu’elle a adopté conviennent à la plupart des salariés. Moi à ce moment-là de ma vie, ce n’est pas ce qui me correspond. Ils auraient pu changer quelque chose, j’aurais eu une bonne image de la boite, je me serais dit « oui c’est cool ils font en sorte que ça bouge etc. » Je me serais dit peut-être que je reviendrais dans cette entreprise plus tard, car je sais que c’est une bonne entreprise. Mais même si ils avaient changé quelque chose, moi cela ne m’aurait pas fait changer d’avis sur mon envie de quitter cette entreprise et de faire autre chose.

De la nécessité de l’arrêt de travail

Equipe CFTC : OK je comprends mieux. Je reviens sur l’arrêt de travail. Tu te dis stop il faut que j’aille voir le médecin car je commence à avoir des symptômes physiques. Qu’est-ce qui se passe chez le médecin ?

Félix : C’est la première fois de ma vie que je suis mis en arrêt maladie. Je ne sais pas vraiment comment faire ou même comment réagir face au médecin. Je me suis dit « OK on y va, on va voir comment cela va se passer ». Et en fait le plus dur quand tu es dans cet état-là, c’est d’expliquer, de revenir sur les faits. C’est un peu la même chose que mes échanges avec mon chef, mais c’est encore plus dur parce que le médecin n’a pas forcément une bonne compréhension de notre environnement du travail. Il ne comprend pas forcément notre organisation. Durant cette période-là, je ne me reconnaissais pas, ce n’était plus le Félix que j’étais. J’étais vraiment dans un état où je n’avais plus de motivation, même mes paroles n’avaient plus de sens, enfin elles n’avaient plus de fil conducteur, de fil rouge. Je partais sur quelque chose, je finissais sur autre chose etc. C’était très confus dans mes propos. Je devais expliquer tout ça au médecin en sachant que dans ma tête c’était encore le bordel.
C’était un réel défi. Je suis donc arrivé devant lui et j’ai essayé d’expliquer avec mes mots comme j’ai pu. Je lui demandais s’il comprenait etc. Je m’attendais à ce qu’il me pose plus de questions. C’était un médecin assez jeune, il m’a juste fait un arrêt de travail d’une petite semaine, enfin 10 jours, et voilà. Je suis reparti comme ça avec l’arrêt travail. Je me rappelle lui avoir demandé ce qu’était un bore out, il n’était pas plus au courant que moi. J’étais un peu déçu, je voulais avoir plus d’éclaircissements et qu’il me rassure sur ce qui m’arrivait. Est-ce que cela arrive aussi à d’autres salariés ? Est-ce que c’est juste moi ? J’avais plein d’interrogations qu’il n’a pas forcément éclairées, je n’ai pas non plus insisté. J’ai donc eu mon arrêt travail. Cet arrêt de 10 jours m’a quand même fait beaucoup de bien.

Equipe CFTC : qu’est-ce qui se passe pendant cet arrêt ? Comment tu réponds à toutes tes interrogations ? Tu vas chercher de l’aide chez un psy ?

Se faire aider

Félix : C’était beaucoup avec mes proches avec qui je parlais beaucoup de tout ça. Ils ont été très compréhensifs, c’est là qu’ils m’ont un peu aiguillé sur ce qu’il fallait faire etc. Les proches cela m’a beaucoup aidé. Je sais qu’il y avait un numéro de la société pour consulter des psychologues en ligne. J’avais le numéro, je ne les ai pas appelés parce que j’ai préféré me confier à des gens que je connais réellement. Pour certains c’est le contraire, ils préfèrent parler à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas.  Moi c’était plus mes proches qui ont été là pour me soutenir. Lorsque j’ai commencé à avoir les idées claires, j’ai commencé à essayer de me dire « OK, c’est quoi les prochaines étapes, les prochaines actions à faire qui pourront m’aider à sortir de cet état? ». Je me suis dit janvier 2021 c’est sur je quitte Worldline. Et puis les choses ont fait que je n’ai pas pu partir tout de suite. Il y a eu des changements au niveau des projets, on a gagné un nouveau projet etc. J’ai dû me dire que je devais me concentre sur ça, et laisser de côté le fait de m’en aller. Je me reconcentre sur ce qu’on m’a donné comme tâche. Mais forcément quand on essaye de fuir quelque chose, de se convaincre que ce n’est pas ça, un jour ou l’autre cela revient toujours à la surface. Et bien là c’est revenus encore à la surface, c’est là où je me suis dit bon je ne peux pas continuer à travailler comme ça : être malheureux et avoir envie de passer à autre chose et à chaque fois à enfouir ce désir-là, ce n’est plus possible.

Equipe CFTC : là en janvier tu avais mis quand même un peu de côté ton projet de devenir indépendant, c’est bien ça ?

Félix : oui. C’est ça mais en fait à chaque fois que j’avais cette envie-là, je me suis dit OK j’ai envie de me lancer, et à chaque fois tu as des interrogations et des craintes qui te retiennent. Tu vas quitter un CDI, ça va être beaucoup plus compliqué pour avoir un nouvel appart, tu as plein de questions de ce genre-là. Forcément c’est plus compliqué. Et puis à l’époque je n’ai pas encore forcément de clients potentiels, donc je n’avais pas de vision précise pour me dire « OK si j’arrête Worldline j’aurais quelque chose derrière ». Et puis les choses ont fait qu’au début de janvier 2021 j’ai commencé à avoir de la visibilité pour un job indépendant, j’ai eu plusieurs propositions qui ont été faites, et j’ai commencé à travailler en parallèle avec un autre client. C’est là que j’ai pu avoir une vision plus claire de la suite, et de me dire « OK maintenant j’ai un filet de sécurité et je sais que si je quitte mon poste Worldline je peux m’en sortir sans toucher le chômage ». Cela s’est débloqué au fil du temps et mon projet de sortie se concrétisait un peu plus. Aujourd’hui j’arrive à un point où je peux me dire « OK je peux annoncer ma démission à mon chef ». Avant j’avais plein de questions sans réponse, alors j’essayais de me raccrocher à l’entreprise, à ses valeurs, etc. mais ses valeurs ne changeront pas, ça sera toujours la même chose, le même schéma. J’ai essayé de me convaincre de rester mais je serais toujours en décalage avec ce que l’entreprise met en avant, ça sera toujours la même organisation, la même manière de procéder. Je pense que je sature, je n’accepte plus l’organisation de Worldline, j’ai vraiment besoin de voir autre chose.

Equipe CFTC : Tu évoquais l’aide que tu as reçue de tes proches et de ta famille, tu me disais qu’ils ont essayé de t’aiguiller vers les bonnes solutions pour essayer de définir les étapes pour sortir de cette crise. Quelles étaient les solutions  qu’ils mettaient en avant ?

Félix : Différents types de réponse en fonction du type de proche : j’avais mes amis, qui sont indépendants, qui me disaient tu devrais quitter l’entreprise et te lancer en indépendant. Cette solution avait l’inconvénient de ne pas avoir de filet de secours. C’était donc un peu compliqué. D’un autre côté, tu avais ma famille qui était plus en mode la sécurité d’abord, et de te dire « attend encore un petit peu, les choses vont évoluer tu vas voir ». C’est ça qui faisait que je continuais à travailler, enfin à trouver un petit peu de motivation pour rester. Ils me disaient « attend la bonne opportunité pour devenir indépendant ». Il a donc fallu que je continue à être salarié pour Worldline. J’ai privilégié la solution mise en avant par la famille.

Equipe CFTC : la famille c’est toujours la prudence et la sécurité [rire].

Félix : J’ai fusionné les deux solutions en quelque sorte, OK je vais rester jusqu’au moment où j’aurai une véritable opportunité de me lancer en indépendant qui me permettra de quitter l’entreprise en toute sécurité. Voilà pourquoi cela évolué comme ça.

Sur la charge de travail et l’investissement

Equipe CFTC : j’ai encore quelques petites questions. Tu l’as dit rapidement mais j’aimerais être sûr de bien comprendre, est-ce que durant cette période tu travaillais beaucoup ou bien tu respectais les horaires de travail ?

Félix : Comme je le dis souvent, je suis un workaholique. J’ai du mal à me dire je vais faire autre chose, je suis dans cette optique là dès que j’aime un projet, je vais faire en sorte qu’il avance à fond. Je vais faire en sorte que l’on puisse atteindre nos objectifs. Mes premières année de stage j’étais donc vraiment à fond, même après le travail, le soir, je travaillais dessus etc. Il était plus 20 heures. Je ne comptais pas forcément mes heures en stage. Je voyais ça plus comme une passion, pour moi le travail peut être une passion. Ensuite, c’était cool parce que c’étaient des équipes où ils font de l’innovation etc. C’était beaucoup plus adapté à ce que je recherchais. Ensuite on m’a conseillé d’aller sur le terrain comme ils disent, dans les BU où tu es plus proche d’un client. J’ai débarqué dans la « pire équipe », où là je n’ai pas été très productif. Puis quand j’ai atterri chez Equens, j’ai fait pas mal de choses, j’étais force de proposition sur de nombreux sujets. Le contraste avec aujourd’hui est saisissant. Cela fait en gros une année que je ne suis plus du tout comme ça. J’essaye de faire le moins de choses possibles, de faire juste les choses qui peuvent me plaire a minima, de faire mes horaires et c’est tout. Je me dis que cela n’est pas normal, moi je suis un passionné de base, et là je ne trouve plus d’intérêt, de flamme pour travailler. Aujourd’hui je suis vraiment en mode cool, j’ai envie de dire comme la plupart des gens qui sont ici depuis des années maintenant. Ils font juste leur travail avec les horaires neuf heures/18 heures. Moi cela n’est pas trop ma façon de penser. Voilà.

Equipe CFTC : c’est intéressant.

Félix : On m’a dit des choses très paradoxales. Mes collègues m’ont dit « Félix ici si tu travailles plus que tu dois travailler en temps normal, tu ne seras jamais valorisé et entre guillemets on s’en fiche, il faut juste que tu travailles le minimum ». Mais moi j’ai envie d’être à 100 %, ils m’ont dit cela ne sert à rien. C’est des collègues qui sont dans la boite depuis des années. Je me dis OK d’accord, en fait il suffit d’être à 60 % ou 70 % de son potentiel et cela suffit, mais moi cela ne me convient pas. C’est dommage ! Cela me sert à quoi du coup d’être à 100 % si au final ce que l’on veut de moi c’est juste d’être à 60 %. Je parle en pourcentage, ce n’est pas en termes d’horaires, c’est une quantité de travail et une énergie à faire ton travail.

Equipe CFTC : Je comprends.

Félix : c’est là que je me suis dit OK, dans beaucoup de structures c’est comme ça, il y a des gens qui sont là mais qui ne sont pas à leurs plein potentiels. Là je m’y retrouve plus. Le fait que l’on modifie ça, c’était étonnant, mais en même temps cela m’a fait prendre conscience que voilà à quoi bon travailler plus. Certains ne font pas d’efforts pour s’améliorer et puis ils se disent « moi j’ai toujours été comme ça, je ne saurais pas changer ». C’est la mentalité de certains collègues qui me décourage, je n’ai pas envie de travailler avec des gens comme ça !

Difficulté de trouver sa place dans un collectif

Equipe CFTC : c’est-à-dire ? C’est quoi le collectif avec lequel tu ne souhaites pas travailler ?

Félix : Par exemple, quelqu’un qui est là depuis des années et qui n’est pas forcément bon, alors dans notre équipe ce n’est pas le cas, mais on a travaillé avec des équipes clients où il y a ce type de profil. C’est des personnes qui font comme bon leur semble, et ils pensent que leur travail est bien fait. Mais au final ce n’est pas la qualité que l’on vise dans l’équipe, ce n’est pas ça que l’on veut. On doit donc tout reprendre derrière, et malgré qu’on leur dise « eh bien non il faut que tu fasses comme si, comme ça », eux ils en ont rien à faire, ils n’essayent pas de s’améliorer. Ils font toujours le strict minimum. Ils ne se disent pas « OK je vais essayer de faire mieux la prochaine fois ». Ils disent « non j’ai toujours fait comme ça, je ne vois pas pourquoi vous critiquez ça et ça ». Ils n’acceptent pas vraiment la critique constructive. Je trouve ça un peu pénible, cela me met un peu sur les nerfs. Il y a que une ou deux personnes comme ça autour de moi.

Equipe CFTC : je reviens juste sur un point. Quand tu reviens après ton arrêt maladie, même si tu as déjà ton plan de sortie en tête, est-ce que tu en parles avec ton manager ? Avec ton équipe ? Il y a une discussion pour voir comment tu te sens et s’assurer que tout va bien ? Comment se passe ton retour dans l’équipe ?

Félix : j’en ai parlé qu’avec mon N+1. Comme c’était avant mon maître de stage, on a toujours été en contact, il n’y a pas de distance, il n’y a pas de filtre. Quand je parlais, je lui disais vraiment tout, et j’ai partagé avec lui mon projet de me mettre en indépendant. Mon entourage me disait d’ailleurs de ne pas tout dire. Mais de mon côté, je lui faisais confiance, je parlais vraiment de ce que je prévoyais de faire. J’ai donc vraiment parlé de tout ça avec lui, et de son côté il en a juste parlé à son manager, il n’en a pas parlé à l’équipe. Je ne le voulais pas non plus. Je voulais vraiment que ce soit mon N+1 qui le sache et puis c’est tout. Aujourd’hui je commence à en parler à mes collègues. C’est comme ça que j’ai appris que dans mon équipe je ne suis pas le seul qui avait déjà un pied à l’extérieur de l’entreprise.

Les séquelles du bore out

Equipe CFTC : Comment ça va aujourd’hui sur le plan physique, tout va bien à présent ? Quand tu es revenu dans l’entreprise après ton arrêt, les symptômes avaient disparu ? Tu as traîné ça encore pendant plusieurs semaines ?

Félix : non, non, non, en fait ma semaine d’arrêt m’a fait du bien. Dès que j’ai eu l’arrêt de travail dans les mains, j’ai eu comme un soulagement de me dire « waouh ! pendant une semaine je ne vais pas aller au travail ! » Cela a débloqué quelque chose. C’est pour ça que je n’ai pas pris les antidépresseurs pendant longtemps, je les ai pris que pendant les deux premiers jours, et après je me suis dit stop ! J’ai pu essayer de me ressourcer comme ça et de retrouver un peu d’énergie pour continuer à travailler. Il y a vraiment eu comme un déclic quand j’ai eu cet arrêt en main : « waouh ! Cela va faire du bien, je vais enfin pouvoir prendre du temps pour moi ». Je pense que cela a beaucoup joué. Je pense que le psychique joue énormément sur le physique. Je m’en suis rendu compte, tout est lié. Du coup je n’ai pas traîné les symptômes physiques longtemps après l’arrêt de travail. Le fait de prendre cette semaine, je me suis dit « bon je vais me remettre à bien manger, je me vais me remettre à faire un peu plus d’activités physiques ». Tu reprends de la force et tu commences à mieux aller. Cela m’a beaucoup aidé, même si dans ma tête je me suis dit que je voulais prolonger mon arrêt. J’avais envie de faire plus que 10 jours. Je me suis dit « pfff cela va être dur de le justifier devant mon médecin une fois que tout vas bien, c’est compliqué ».

Equipe CFTC : Il fallait que tu te sentes prêt à retourner travailler sans que cela te fasse mal.

Félix : oui.

Equipe CFTC : merci Félix c’est très intéressant. As-tu des choses sur lesquelles tu veux revenir ou des points que tu veux aborder ?

Félix : non pas spécialement. J’ai essayé de tout déballer même si ce n’était pas simple de tout remettre dans l’ordre. En tout cas je ne sais pas si les éléments que j’ai partagés avec toi sont pertinents, je ne sais pas si cela va vous aider.

Equipe CFTC : qu’est-ce que tu en penses toi ? Est-ce que tu as l’impression que ton expérience est riche et que tu as des choses à nous dire à nous tous qui travaillons encore chez Worldline ?

Félix : c’est une bonne question. C’est très intéressant. Si une personne est dans le même état que moi je pense que cela va servir, mais je ne connais pas le pourcentage des personnes qui sont dans la même situation que moi.

Equipe CFTC : je pense que nous sommes nombreux à avoir des difficultés à trouver notre place dans cette organisation.

Félix : Etant donné le nombre que nous sommes dans la société, je pense que je ne dois pas être le seul en tout cas. En tout cas si cela peut aider c’est cool.

Equipe CFTC : si tu avais un conseil à donner aux salariés de Worldline quel serait-il ?

Félix : de suivre vraiment ce qu’on a envie de faire, cela ne sert à rien de continuer quelque chose que l’on n’a pas envie de faire. Et que quoi qu’il arrive, la vie est courte et c’est dommage d’avoir des regrets après, si on a une opportunité pour faire quelque chose il faut sauter dessus, sur les opportunités qui se présentent, pour ne pas être déçu. Dans le pire des cas il y a toujours des solutions pour revenir si jamais cela ne fonctionne pas, et surtout dans l’informatique et dans ces domaines-là.

Equipe CFTC : Merci Félix d’avoir accepté de passer du temps avec nous. C’était très intéressant.

[Fin de l’entretien]

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7 commentsOn Mon burnout chez Worldline [5]

  • Je retrouve beaucoup d’éléments de ma situation avec ce que décrit Félix. J’ai 28 ans et de plus en plus de mal à comprendre ce que l’organisation de worldline fait. La majorité des points qu’il évoque (dépression, bore-out, pb santé mentale et physique, doutes, quantité de travail etc) font écho à ma propre situation qui semble désespérée mais dont ne n’ai aucune idée de comment la régler. Je pense à changer d’équipe depuis plusieurs années, sans arriver à pousser la porte pour changer les choses. Je pense que la reconnaissance du travail fournit à Worldline ainsi que la rémunération restera toujours l’élement central qui empéchera Worldline de s’améliorer, même si pour une société aussi grande, ils n’ont que faire de s’améliorer, seulement de plaire et d’enrichir les actionnaires. Pour ma part, je ne sais pas combien de temps je pourrais encore tenir avant d’avoir de nouveaux des “breakdowns”

  • J’ai vécu la même chose à Worldline : bore-out, avec en sus un management inexistant.
    Pour ma part, le bore-out avait un effet pervers : plus il s’installait dans la durée, et plus ma confiance dans le fait que j’étais capable d’assurer un “vrai” travail diminuait… et par conséquent j’étais véritablement prisonnier de cette situation.
    Pour reprendre cette citation de Félix : “Mes collègues m’ont dit « Ici si tu travailles plus que tu dois travailler en temps normal, tu ne seras jamais valorisé et entre guillemets on s’en fiche, il faut juste que tu travailles le minimum »” -> C’est malheureusement la triste réalité à laquelle j’étais aussi confrontée dans ma BU. Qu’on se dépasse, ou qu’on fasse le minimum, le résultat est souvent le même : pas de perspective d’évolution, et un salaire qui évolue peu.
    Il m’aura fallu un arrêt, et surtout le soutien de mes amis, pour parvenir à quitter la “cage dorée”. Aujourd’hui c’est un choix que je ne regrette absolument pas : mon nouveau job m’a très vite permis de reprendre confiance en moi et en mes compétences, et en quelques années j’ai eu une évolution de carrière qui aurait certainement été inatteignable si j’étais resté à Worldline.

  • Et vous trouvez normal qu’on puisse offrir une tribune à sens unique à quelqu’un, sous couvert d’un anonymat complètement bidon (puisqu’il suffit de lire les quelques premières lignes pour deviner de qui il s’agit), pour lui permettre de dénigrer les collègues avec qui il a pu travailler ? Exemple : “Félix : Par exemple, quelqu’un qui est là depuis des années et qui n’est pas forcément bon, alors dans notre équipe ce n’est pas le cas, mais on a travaillé avec des équipes clients où il y a ce type de profil. C’est des personnes qui font comme bon leur semble, et ils pensent que leur travail est bien fait. Mais au final ce n’est pas la qualité que l’on vise dans l’équipe, ce n’est pas ça que l’on veut. On doit donc tout reprendre derrière, et malgré qu’on leur dise « eh bien non il faut que tu fasses comme si, comme ça », eux ils en ont rien à faire, ils n’essayent pas de s’améliorer. Ils font toujours le strict minimum. Ils ne se disent pas « OK je vais essayer de faire mieux la prochaine fois ». Ils disent « non j’ai toujours fait comme ça, je ne vois pas pourquoi vous critiquez ça et ça ». Ils n’acceptent pas vraiment la critique constructive. Je trouve ça un peu pénible, cela me met un peu sur les nerfs. Il y a que une ou deux personnes comme ça autour de moi.”

    • Qu’il y a des “planqués” dans notre entreprise est un secret de polichinelle. Ce que souligne Félix est intéressant : quels impacts ces personnes qui ne produisent rien et sur lesquelles le management ferme les yeux ont sur les nouveaux arrivants ? Comment garder sa motivation quand autour de soi on a des collaborateurs qui ne travaillent pas et dont la situation est tacitement cautionnée par leurs managers ?

      • Je te propose d’aller à la rencontre des “planqués qui ne produisent rien” auxquels tu fais référence et mis en cause dans ce témoignage. Ca t’ouvrira les yeux sur la vérité de celui-ci, et sur le mal que des propos pareils peuvent générer pour les personnes concernées.

        • Pour clarifier mes propos : étant manager, je peux tout à fait concevoir qu’un membre de mon équipe ait un passage à vide, que ce soit pour cause de problèmes personnels, etc… Je serai le premier à le soutenir, et je n’ai pas de soucis avec ça.
          Ce qui me pose plus problème, c’est la “planque institutionnalisée”. Des collaborateurs qui ne font rien ou presque pendant 3, 5, 10 ans… Je veux bien échanger avec eux sur le mal qu’ils me font ainsi qu’à leur équipe qui doit se partager leur charge de travail, à leurs collègues qui passent une partie de leur temps à “couvrir” pour ce qu’ils ne font pas. Bref, j’ai connu d’autres entreprises avant d’arriver chez Equens, et ce sont des choses qui ne passeraient pas : c’est peut-être un peu dur, mais une entreprise, ce n’est pas la charité.
          Qu’on puisse ne plus trouver d’intérêt dans son travail, je peux l’entendre, et je serai à l’écoute pour échanger, aider le collaborateur s’il a des souhaits de reconversion ou de départ, et ce du mieux que je peux. Cautionner une forme de “pré-retraite” au détriment des autres, non.

  • Il y a quelques années quand j’étais plus jeune je pensais aussi que certains salariés étaient “planques” ou restaient trop dans leur zone de confort. Maintenant j’ai tendance à penser que ces personnes se protègent d’une organisation (RH/management) qui n est pas à la hauteur d’un groupe du CAC40 et ce que décrit Félix est la réalité chez worldline quelques soit les entités (BU/PS). Parmi les raisons, les changements à répétition qui font perdre la tète et la réduction des couts à tous les niveaux qui poussent les salariés à “bricoler” et s épuiser. Personnellement j’ai préféré quitter Worldline pour retrouver un environnement plus calme et voir évoluer mon salaire plutôt que de finir en burn out ou “planqué”. Dans les 2 cas c est à l organisation de proposer des solutions et je connais plusieurs anciens collègues dans ces situations.

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