Misère de la négociation

In Votre avis nous intéresse !

Bonjour à toutes et à tous,

Nous aimerions profiter de l’échec de la Négociation Annuelle Obligatoire, qui voit le projet de la direction ne récolter aucune signature des organisations syndicales, pour tenter de répondre aux questions suivantes : pourquoi ne réussissons nous pas à nous entendre ? Pourquoi la négociation, et particulièrement la NAO, nous donne l’impression d’être un jeu pipé ?

Une négociation fantoche…

Tout d’abord, il nous semble que la négociation avec les représentants des salariés n’a pas vraiment lieu. En réalité, une négociation se déroule bien, mais dans d’autres sphères et avec d’autres acteurs. Les véritables négociateurs sont les représentants des directions régionales (France, Belgique, Allemagne, etc.) et la direction générale du groupe Worldline. Les premiers tentent de persuader les seconds de la nécessité d’augmenter les rémunérations de la population de salariés qu’ils encadrent. Mais avec quels arguments ?

Un exemple pour répondre : la France décroche cette année une enveloppe de 3% d’augmentation et fait mieux que ses voisines. Pourquoi ? L’atout de notre géographie réside dans la spécificité de sa population : beaucoup de jeunes salariés travaillent en France pour Worldline. Cette caractéristique « française » introduit un risque pour la direction régionale et générale, à travers les départs possibles de cette population mouvante. La réflexion de la direction est donc d’abord économique : comment limiter les coûts dûs au turn-over ? Serait-il profitable d’augmenter une population ciblée (les jeunes) pour prévenir les coûts des démissions, embauches, formations, etc. ? Au cœur de l’éthique de la direction réside le calcul du risque économique. Les calculs de rentabilité sont centraux, oubliez la reconnaissance, la valorisation des compétences acquises, la politique salariale au service du collectif, etc.

Notre direction régionale se retrouve alors à endosser le rôle de « défenseur des intérêts des salariés » auprès de la direction générale. Ce retournement n’est évidemment pas neutre et pèse sur la nature des revendications : un syndicaliste défend la justice sociale et considère les augmentations comme l’un de ses instruments, la direction pense d’abord les augmentations comme un outil au service du management.

La négociation entre la direction France et les organisations syndicales est donc vidée de son objet. Il n’y a rien à négocier ici : nos propos, nos revendications, nos arguments n’arriveront pas ou que très déformés jusqu’aux oreilles de la direction générale.

… instrumentalisée par la direction

S’ensuit cette question : à quoi sert une négociation qui ne permet pas aux négociateurs de négocier ? L’obligation légale de négocier doit certes être respectée, mais la Direction pourrait s’épargner les longues et nombreuses séances de NAO. Alors pourquoi autant de zèle dans cette parodie de dialogue social ? Il nous semble que là encore la Direction tente d’instrumentaliser en sa faveur un dispositif initialement pensé pour les salariés. L’art du détournement.

Essayons de préciser cette proposition. Il est important de remarquer que les négociations actuelles s’inscrivent dans une temporalité originale. Aujourd’hui, plus rien ne rend nécessaire la négociation [1], au point que son absence pourrait très bien passer inaperçue. Une décision unilatérale de la direction (chose habituelle) pourrait s’y substituer. Cela entraîne nécessairement une modification de son objet : non plus apporter une solution à la suite d’un « bousculement » par les organisations syndicales de l’ordre arbitraire en place dans l’entreprise[2] mais au contraire travailler à consolider cet ordre.

La négociation – aujourd’hui routinière dans l’entreprise – offre désormais à la direction un moment privilégié pour prêcher pour sa paroisse : répéter des messages, pour convaincre les négociateurs de la nécessité économique de ses stratégies, du caractère exagéré des demandes des organisation syndicales, de la brillance de ses dirigeants… Une occasion en or pour faire des représentants des salariés (peut-être vus comme des leaders d’opinion par la Direction ?) les meilleurs relais auprès des collaborateurs, afin de faciliter l’acceptation des changements organisationnels[3]. La négociation a été complétement vidée de sa substance et se transforme en un dispositif de management comme un autre.

Notre analyse s’appuie sur notre propre expérience : c’est bien parce que nous nous sommes surpris à répéter un discours prémâché que nous rabâche la direction que nous avons commencé à douter de l’intérêt de négocier. Nous n’obtenons rien, et pire, nous acceptons petit à petit, à l’usure, l’idée que l’ordre actuel est légitime, juste et intemporel. La lutte discursive est inégale et nos moyens insuffisants face aux qualités de la direction.

Notre analyse nous protège à présent ; mais elle ne suffit pas à renverser les choses et à réinscrire la négociation dans un cadre protecteur et bénéfique pour toutes et tous.

Conclusion

Pour conclure, qu’est-ce que cela nous apprend sur la manière dont nos dirigeants considèrent les worldliners ? Pour répondre, il nous semble pertinent de s’imprégner des travaux de Jacques Rancière[4]. Dans son ouvrage « la mésentente » il développe son concept de politique qui « a pour principe l’égalité ». Il illustre sa proposition à partir de la présentation de la sécession des plébéiens romains sur l’Aventin : « La position des praticiens intransigeants est simple : il n’y a pas lieu de discuter avec les plébéiens, pour la simple raison que ceux-ci ne parlent pas et ils ne parlent pas parce qu’ils sont des êtres sans nom, privés de logos, c’est-à-dire d’inscription symbolique dans la cité […] Ce verdict ne reflète pas simplement l’entêtement des dominants ou leur aveuglement idéologique. Il exprime strictement l’ordre du sensible qui organise leur domination, qui est cette domination même ». Quelle réponse organisent les plébéiens réunis sur l’Aventin face à la position intransigeante des praticiens ? « Ils instituent un autre ordre, un autre partage du sensible en se constituant non comme des guerriers égaux à d’autres guerriers mais comme des êtres parlants partageant les mêmes propriétés que ceux qui les leurs nient ».

A nous d’instituer un autre partage du sensible.

Bien à vous,

Toute l’équipe CFTC

[1] Là où les « grandes négociations » du 20ième siècle découlaient d’un mouvement social demandant du changement : en 1936, en 1968.

[2] Les grèves de 1936 sont là encore exemplaires : en inventant les occupations d’usine, les ouvriers ont imposé un nouvel ordre dans l’entreprise et une nouvelle manière d’être qui nécessitaient une révision de nombreuses règles, etc.

[3] Baptiste Giraud et Rémy Ponge, « Des négociations entravées », La nouvelle revue du travail [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 02 janvier 2021. http://journals.openedition.org/nrt/2591

[4] Et particulièrement l’ouvrage suivant : Jacques Rancière, La Mésentente. Politique et Philosophie. Editions Galilée, Collection La philosophie en effet, Paris 1995, 188 p

You may also read!

L’externalisation du Facility Management

Worldline a décidé d'externaliser l'activité et ses salariés, membres du Facility Management. Le Facility Management, c'est nos collègues qui s'occupent quotidiennement

Read More...

CSE de Mars 2024 : intéressement, stats évaluations individuelles, plan de prévention des RPS

Lors du premier jour du printemps, le CSE du mois de mars a eu lieu à Seclin ! Et

Read More...

RCC – nos propositions pour l’avenir des salariés qui resteront chez Worldline

La direction a fait un pari risqué en annonçant aux actionnaires 330 suppressions de postes en France. En effet,

Read More...

10 commentsOn Misère de la négociation

  • probable aussi que la direction estime que les syndicats ne sont pas soutenus par les salariés, et que c’est donc elle qui porterait l’intérêt général. Comment lui démontrer le contraire en l’absence de mouvement social d’ampleur?

    • Il faut que le taux de participation aux prochaines élections soit très élevé. Pour cela, les syndicats doivent communiquer. Après chaque CSE, après chaque annonce,être pédagogique, expliquer, analyser, tout en étant respectueux de tous.
      Les salariés doivent avoir confiance dans leurs syndicats, quels que soient leur sensibilité. Donc pas de démagogie, mais des arguments et des explications pour chaque idée, proposition, contestation, coup de gueule etc ….

      Un seul mot : CREDIBILITE et ce même si nous n’avons pas tous les mêmes opinion. Le respect des uns et des autres se gagne dans le sérieux des arguments apportés.

      De ce coté, par rapport à ce que j’ai pu voir dans d’autres sociétés, les syndicats chez WL sont plutôt de qualité.

      Alors, il faut adhérer chez celui qui nous convient le mieux, et voter aux prochaines élections, pour qu’ensemble, ils portent avec force, la voix ou plutôt les voix des salariés.

    • Merci Vince et NoName pour vos commentaires. Il est probable que le taux de participation aux élections professionnelles soit un indicateur suivi par la direction qui lui permet d’apprécier la qualité du lien entre les salariés / les élus et les OS.

      Il nous semble que le prérequis indispensable pour réussir à peser sur le devenir de notre entreprise et sur ses transformations est de se faire confiance, d’échanger régulièrement et de mettre en commun un cadre d’interprétation distinct de celui de la direction (qui semble être nuisible à nos intérêts dans la majorité des cas).

      Et comme l’indique NoName, se syndiquer devrait être une priorité pour nous tous, peu importe l’OS.
      Bien à vous

  • Peut etre en ayant déjà plus de participations lors des élections professionnelles… si on reste à 50% de participations pour élire les syndicats, ca ne leur donne pas l’argument de représentation.

  • On n’a pas besoin de participer aux élections ni de voter pour apprécier le travail que font nos syndicats et notamment la cftc.

  • @Syndicats, Sentez vous soutenus, vous etes notre voix audible

    • Merci Real Kaz !
      Nous sommes preneurs d’encouragement et de soutiens, tout particulièrement en cette période de crise sanitaire pendant laquelle il est très difficile d’échanger avec vous.

      Bien à vous

  • Bonjour, merci pour cette belle analyse (même si j’ai rien compris à la conclusion). Personnellement, j’ai fait quelques autres entreprises avant d’arriver chez worldline, et j’ai toujours vu cela, et j’irais plus loin, s’ils entendent la voix managérial, on n’est pas si mal chez worldline. Il y a ceux qui ont l’argent, et ceux qui le réclame… Les “princes” et les manants. J’imagine mal comment vous pourriez changer cela. A moins d’avoir des arguments qui leur rapporte de l’argent, j’imagine mal comment ils pourraient en donner. Le principe du riche c’est de garder son argent, sinon il ne sera plus riche. L’entreprise est riche…
    Soyons content de ce que l’on a, il y a pire ailleurs, et merci à vous pour les miettes que vous arrivez à nous avoir. Ne vous découragez pas. Il y en a encore qui lisent vos messages.

    • Merci Thierry pour votre commentaire.

      Toutes seules les OS ne peuvent pas changer grand chose, sur cela nous sommes complétement d’accord avec vous.
      En revanche, ensemble les salariés et les OS pourraient tout à fait peser et réussir à imposer une autre manière de voir les choses et de penser les transformations de notre entreprise.

      Merci pour vos encouragements
      Bien à vous

Leave a reply:

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Mobile Sliding Menu